« Sésame, ouvre-toi ! »
Conférence donnée en cours de méditation par Jaya Yogācārya le vendredi 24 nov 2017
Nous nous sommes immergés, pendant quelques semaines, dans le pur Vedanta वेदान्त. Nous avons par la réflexion intellectuelle et métaphysique, à savoir par le Jñāna Yoga ज्ञान योग, abordé le processus de l’éveil spirituel. Nous avons posé les grands principes védantiques du Jīva Ātman जीव et du Brahman ब्रह्मन्, des types de conscience subjective et objective de l’individualité, et avons mis en évidence le processus qui permet de s’éveiller à sa véritable nature, celle identique au principe transcendant et immuable qu’est l’Absolu.
Nous allons revenir à l’étude des pouvoirs spirituels qui relèvent de l’approche tantrique de l’éveil de la Kuṇḍalinī कुण्डलिनी. C’est un autre chemin possible de l’éveil.
Lorsqu’on est un chercheur spirituel engagé dans le cheminement de l’éveil de la conscience, la vision de notre pratique peut parfois nous sembler limitée à cette vie présente. Quelquefois, il nous est difficile de porter un jugement définitif de succès ou d’échec de notre démarche et d’avoir conscience pleinement des répercussions invisibles de ces succès ou de ces échecs. Certes, les changements et les fruits sont quantifiables, mais les accidents, les erreurs, les traverses, les ralentissements qui jalonnent ce chemin sont nombreux et peuvent parfois faire douter certains.
C’est qu’il ne faut pas avoir peur d’être héroïque sur cette voie là, et être prêts à accepter les épreuves, les difficultés, susceptibles de décourager notre intention et le feu qui nous anime. Plus vous avancerez dans cette voie de la connaissance, plus le doute sera le plus grand des dangers.
Plus vous vous élèverez, plus votre pratique accèdera à la même valeur que celle que vous donnez à votre vie.
Le yoga vous parle des enjeux de l’existence, donc de la vôtre. Il vous parle de votre propre vie, de votre mort elle-même, de l’absolu, de la conscience, de votre corps.
Pour les sages, votre expérience continue au-delà de la mort, inéluctablement et votre essence n’est pas limitée à cette vie présente. Votre expérience a commencé il y a bien longtemps et se perpétuera au-delà de cette vie là.
Lorsqu’Arjuna अर्जुन sur le champ de bataille demande à son guide spirituel Kṛṣṇa कृष्ण ce que devient celui qui entreprend le yoga avec foi sans atteindre la maitrise et qui a dévié hors de la voie, quel est son sort ? Qu’arrive t-il à celui qui n’arrive pas à atteindre la perfection en yoga ?
Il lui est répondu :
« Celui qui s’efforce à des actions bénéfiques ne saurait aller à sa perte. Par sa pratique précédente, il sera irrésistiblement poussé à s’élever, à toujours tenter de comprendre. Il retrouvera ce qu’il avait déjà atteint par son corps précédent et fort de cela, s’efforcera à nouveau d’atteindre la perfection dans son existence suivante. »
Indépendamment de la théorie de la réincarnation, les chutes et les erreurs dans cette existence ne sont que des pauses dans l’expérience. Si elles semblent une entrave à l’intrépidité de départ, ces situations de crise sont une purification nécessaire qui affinent notre quête de l’absolu.
Faut-il encore que l’on entreprenne le premier pas sur le chemin !
C’est que l’ambition de l’éveil n’est pas un but facile à atteindre et l’expérience qui déchire nos ténèbres de la plus éclatante évidence peut être de nature effroyable si nous ne sommes pas prêts à contempler l’absolu.
Les attachements à notre individualité sont en conflit avec ce goût ineffable de la libération mystique.
Les pratiques et la « guidance » spirituelles ont pour tâche de préparer cette éventuelle révélation, dans cette vie là ou dans une autre forme d’existence.
Toutes les transitions de notre existence ont toujours nécessité que l’on en prenne soin. Des personnes extérieures ont fait et font attention à nous quand ce n’est pas nous-même pour nous-même ou pour les autres. Notre naissance et son passage utérin, notre transition de l’enfance à l’adolescence, à la vie adulte, la vie mondaine et la vie spirituelle, la vieillesse et l’abandon du corps physique, la mort physique et l’illumination, sont ces processus de transitions, de passages, parfois difficiles et douloureux.
Le guide spirituel est là pour apaiser les craintes dans les changements radicaux, et surtout permettre à chacun de faire l’expérience à la hauteur de ses possibilités du moment.
Lorsque Sri RamaKṛṣṇa श्रीरामकृष्ण utilise la parabole du serpent, qui, ne pouvant avaler une grenouille trop grosse pour lui, agonise et fait agoniser sa proie, il illustre deux faits :
– Le premier, c’est que si un guide n’est pas suffisamment éclairé pour aider un aspirant, il y aura beaucoup de difficultés dans ce travail. L’égo du disciple ne parviendra pas à se dissiper et les liens au monde phénoménal rattraperont les deux.
– Le deuxième illustre le fait que si un homme non purifié s’attaque à l’éveil sans lui-même éradiquer son égo, il rencontrera beaucoup de souffrances sur son chemin spirituel.
Si de plus il se retrouve en face d’une expérience transcendantale, face à des énergies puissantes mais que la dualité est encore profondément inscrite dans son esprit, l’état de dissolution (Laya लय), qui est une grande mort à soi-même ne fera que le terroriser.
C’est le paradoxe que le yogi doit être prêt à affronter ;
La grande mort qui révèle l’immortalité.
En attendant d’être prêt à supporter cette vision de « mille soleils à la fois », l’aspirant doit affiner ses outils de compréhension et de perception du réel, sans quoi la folie peut le gagner. Cela peut devenir une expérience sans support, sans compréhension sur laquelle s’appuyer. Le mental déconstruit ne permet pas alors d’apaiser l’esprit sans connaissance. C’est la suppression d’un mental chez quelqu’un dont l’esprit n’était pas prêt à l’accepter. C’est une perception d’une réalité inconcevable par des organes des sens non préparés.
Sur la voie de cet apprentissage, les pratiques yoguiques développent des facultés permettant d’appréhender la vision de la réalité. Les voies abruptes sont les voies qui prennent le chemin ascendant du bas vers le haut de la montagne et non celles qui montent en contournant la montagne en spirale.
Parmi les voies abruptes, nous trouvons les pratiques yoguiques, mais surtout les prāṇāyāma प्राणायाम, et le Kriyā yoga क्रिया योग.
Le Kriyā yoga est une méthode psycho-physiologique permettant de régénérer le système nerveux cérébro-spinal. Le yogi peut ralentir ou prévenir le vieillissement des tissus en renvoyant les forces prāniques vers le cerveau.
Cette science fort ancienne permet de se retirer des phénomènes extérieurs, de fixer le regard en dedans, de neutraliser les courants Prāṇa प्राण et l’Apāna अपान, de contrôler l’esprit et les organes des sens (Tanmātra तन्मात्र) en bannissant désir, peur et colère.
C’est une science qui permet de hâter l’évolution de l’homme !
C’est la science du feu.
La conscience cosmique étant étroitement liée au souffle, la force vitale ordinairement absorbée par les fonctions physiologiques et les activités mondaines va être libérée pour des activités supérieures en apaisant le rythme incessant des souffles. Le yogi va faire circuler mentalement son énergie vitale le long de la moelle épinière jalonnée par les centres énergétiques et psychiques que sont les Cakra चक्र.
Certains textes anciens vont jusqu’à dire qu’une « Une demie-minute de révolution de l’énergie le long de la moelle épinière sensible, selon la technique du Kriyā, permet à l’homme de réaliser un progrès égal à une année d’évolution spirituelle ordinaire ».
Bien qu’il faille prendre ces déclarations avec mesure, chacun de mes élèves ici présents ont pu faire l’expérience d’effets rapides.
Paramahaṃsa Yogānaṃda परमहंस योगानंद dans son livre « Autobiographie d’un yogi » nous dit que la pratique régulière et progressive du Kriyā transforme de jour en jour le corps sur le plan astral (prānique, énergétique) jusqu’à le rendre capable d’exprimer les potentiels infinis de l’énergie cosmique. Cela constitue la première manifestation matérielle active de la conscience absolue. Dans cette pratique, une force régénératrice coulant en soi est ressentie dès le début.
On pourrait parfois reprocher à Paramahaṃsa Yogānaṃda, la description un peu spectaculaire et grand public des phénomènes yoguiques.
Ces phénomènes ou pouvoirs existent bien cependant mais sont peu décrits. Ils appartiennent aux aspects très hermétiques et peu dévoilés par les écritures, restant l’apanage des initiations secrètes, de témoignages livresques à double lecture, incomplets sans l’éclairage d’un guide.
Seule l’expérience directe par la pratique permet de les valider.
Par le Kriyā, le yogi nourrit de luminosité et de Prāṇa प्राण les cellules de son corps, revivifiant l’organisme physique, stimulant la sphère intellectuelle et son cerveau.
Véritable rite du feu, le Kriyā क्रिया prolonge la vie et élargit le champ de la conscience.
La méthode du yoga dépasse le conflit entre l’esprit et les sens assujettis à la matière.
Le yogi s’affranchit de son individualité physique et mentale en faveur de celle de l’âme.
Cette maitrise de l’énergie et de la Prakṛti प्रकृति ont permis aux yogis de s’affranchir des théories quantiques d’Albert Einstein. Leur faculté de matérialiser ou dé-matérialiser leur corps, de se déplacer à la vitesse de la lumière, de matérialiser par la lumière n’importe quel objet pour le rendre visible, etc., satisfont aux conditions quantiques. L’énergie de toute particule de matière est égale à sa masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière. La libération de l’énergie de l’atome se réalise par l’anéantissement de ces particules matérielles.
Alors comment font les yogis avec la gravitation de Newton et les principes
d’ Einstein ?
La conscience d’un yogi avancé s’identifie sans effort, non pas avec un corps limité, mais avec l’univers tout entier. Celui qui s’est reconnu comme Esprit omniprésent, se soustrait aux contingences du temps et de l’espace. La prison du corps est déverrouillée grâce aux « Sésame ouvre-toi » de « Je suis Lui » dit Paramahaṃsa Yogānaṃda.
Le yogi qui perçoit le cosmos comme lumière et conscience, ne faisant qu’un avec la création, dans la méditation parfaite, s’affranchit des lois de la matière et peut mouvoir son corps de lumière aussi aisément sur la terre, dans l’eau, dans le feu et dans l’air.
De nombreuses techniques de méditation, qu’elles s’appuient sur le Rājā yoga राजा, le Vedānta वेदान्त, le Tantra तन्त्र, le Kriyā , préparent cette maitrise des tattva तत्त्व qui regroupent les cinq éléments, les cinq sens, les cinq organes de l’action, les cinq Prāṇa. Mais cela ne peut se faire sans la connaissance des mécanismes de la sphère mentale et la transcendance du mental lui-même pour activer le Maha manas महा मनस्, le grand mental.
En Kriyā, toutes les techniques d’éveil de l’Ājñā cakra आज्ञा चक्र par exemple permettent de développer le discernement mental mais aussi de vaincre les illusions de la gravitation, par la vision du principe lumineux et énergétique de la matière. Entre ici la volonté, Icchā śakti इच्छा शक्ति et le pouvoir de visualisation du pratiquant.
D’autres techniques sur les éléments Pṛthivī पृथिवी, Ākāśa आकाश, sur les karma indriya कर्म इन्द्रिय, etc., par exemple, permettent de s’affranchir progressivement là encore des contraintes de gravitation.
La mémorisation visuelle et bien nette de nos souvenirs, la qualité photographique de nos rêves montrent bien cette faculté du cerveau humain à visualiser puissamment.
Mais l’homme qui tente d’acquérir des pouvoirs dans un but égoïste oublie que seule l’osmose avec la conscience universelle en est la clé.
De même, l’homme spirituel qui œuvre à la libération, doit garder à l’esprit que l’acquisition des pouvoirs spirituels n’est pas une finalité.
Les siddhi सिद्धि (pouvoirs spirituels) ne sont qu’une étape qui doit être dépassée. L’utilisation de ces nouvelles facultés est un grand piège pour les résidus de l’égo spirituel.
Tel un Roi ayant grand pouvoir se doit d’être sage, tel yogi se doit de maîtriser le mental dans la réalisation de ses désirs lorsque ces facultés extra-ordinaires apparaissent.
Revenons à vous, chers pratiquants de yoga.
La pratique a déjà donné des changements subtils et quantifiables dans votre vie.
A chacun de nous, il nous est aisé de mesurer le travail potentiel qui est devant nous.
N’hésitons donc pas à être suffisamment fou et assoiffé d’absolu pour alimenter notre courage sur le chemin.
Hari Om tat Sat
Jaya Yogācārya
Bibliographie :
– « Autobiographie d’un Yogi » de Paramahaṃsa Yogānaṃda aux éditions Adyar
– « Les yoga sūtra » de Patanjali de Alyette Degrâces aux éditions Fayard
– « Le Yoga de l’Eveil » de Tara Michaël aux éditions Fayard
– « Mystiques et magiciens du Tibet » d’Alexandra David Neel aux éditions Plon
– Adaptation et commentaire de Jaya Yogācārya