La mère des Vedas
Les mantras : 2e partie
Le Gāyatrī mantra : 2
Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du 18 nov 2016
Souvenez-vous la dernière fois, nous avons étudié le Gāyatrī mantra.
Nous allons ce soir poursuivre son approche.
Devanagari translitération
ॐ भूर्भुवः स्वः । Oṃ bhūr bhuvaḥ svaḥ
तत् सवितुर्वरेण्यं । tát savitúr váreṇyaṃ
भर्गो देवस्य धीमहि । bhárgo devásya dhīmahi
धियो यो नः प्रचोदयात् ॥ dhíyo yó naḥ pracodáyāt
Le Gāyatrī mantra provient du ṚgVeda ऋग्वेद. C’est un hymne védique à Sāvitrī सावित्री, le Soleil et son pouvoir illuminant et fécondateur qui peut se faire aux temps forts, entre le lever et le coucher de cette étoile. C’est surtout une métaphore pour invoquer le pouvoir éclairant de la conscience afin d’illuminer notre esprit et nous guider sur le chemin de l’existence.
Le Gāyatrī mantra est considéré comme le mantra le plus sacré des Veda वेद.
Il est considéré comme Vedhasāra वेदसार « L’essence des Veda ».
Veda signifiant "l a connaissance", cette prière stimule ainsi et affilie la faculté se rapportant à la connaissance. Comme question de fait, les quatre Mahāvākya महावाक्य ou « noyau de déclarations » enchâssés dans les quatre Veda sont impliqués dans ce mantra ( « Tat Twan Asi », Tu es Cela » pour n’en citer qu’une).
La Gāyatrī est habituellement répétée à l’aube, à midi et au crépuscule dans la tradition millénaire par les pratiquants, les religieux. Le divin étant au-delà du temps, il n’est pas besoin à l’ homme ordinaire d’être lié par ces trois moments pour réciter l’invocation. Elle peut être répétée toujours et partout à la condition de s’assurer que le mental soit pur et attentif. S’éloigner de la lumière amène le mental vers le crépuscule, et s’en rapprocher, l’éclaire.
Chaque être humain a quatre étapes importantes dans la vie, et parallèlement dans la vie spirituelle.
– La première est lorsqu’il naît et émerge du ventre de sa mère. N’étant ni saint ni corrompu, la seule chose qui compte est la nourriture et la protection.
– La seconde est quand il commence l’étude du monde et pour la démarche spirituelle, l’ étude spirituelle qui le conduira de l’obscurité à la lumière. Cela arrive parfois très tard chez certains, voire jamais.
– La troisième est quand il gagne en maturité, s’il s’est engagé dans l’acquisition de l’expérience et des connaissances pour obtenir la réalisation de sa vrai personnalité. Pour l’homme spirituel, cette maturité sera sagesse par l’acquisition des pratiques et la maîtrise des disciplines proposées par les ṛṣi ऋषि ou les guides spirituels pour obtenir la réalisation du Soi.
– La quatrième et dernière étape est pour les hommes sans démarche spirituelle, la réalisation des leçons qu’apportent la vieillesse en enlevant les illusions, et la préparation à la mort. Pour l’homme spirituel, ce sera la réalisation de sa vraie identité et sa fusion avec Brahman, l’absolu inqualifiable.
Sāvitrī désigne donc le Gāyatrī mantra dans son ensemble comme formule rituelle sacrée utilisée dans la cérémonie de l’initiation Upanayana उपनयन.
Dans l’hindouisme, l’Upanayana est le rite de passage qui marque chez l’enfant le début de l’étude des textes sacrés, les Veda, et de l’éducation en général. En Inde, plus la caste de l’enfant est élevée, plus la cérémonie a lieu tôt dans sa vie, tout en sachant que généralement ce rite n’était autrefois, pratiqué qu’envers les garçons et réservés aux fils de Brahmanes.
Aujourd’hui, l’étudiant brahmanique commence son apprentissage à partir de 8 ans pour les garçons brāhmaṇa ब्राह्मण , 11 ans pour les kṣatriya क्षत्रिय, 12 ans pour les vaiśya वैश्य. Ils restent Brāhmachari jusqu’à l’âge de 16 ans.
Ce rite était un rituel très précis et peut durer de un à trois jours où la remise d’un pagne, d’une ceinture, d’un cordon sacré, et surtout d’un mantra sacré et secret étaient transmis au jeune aspirant.
Le cordon est le lien qui symbolise le rattachement à la connaissance mais aussi à un professeur. Yajñopavīta यज्ञोपवीत est le nom de ce cordon.
Ainsi donc le jeune garçon est introduit dans le monde des adultes par le maître spirituel Guru गुरु qui l’adopte en lui communiquant la teneur de ce grand mantra du ṚgVeda, le Gāyatrī mantra dont la répétition quotidienne lors de l’exécution des rites privés, sera désormais une obligation absolue pour lui.
L’Upanayana est une des étapes les plus importantes avec le mariage et les enterrements dans la vie d’un hindou de noble famille. Remplie de symboles, la cérémonie rend donc grâce au dieu Sūrya सूर्य ou dieu Agni अग्नि qui illumine les consciences des chercheurs de paix.
Ce mantra fut pendant des milliers réservés aux castes brahmaniques et tenu à distance des hors castes et des femmes.
En juin 1974, Satya Sai Baba déclara ceci à ses étudiants et pèlerins ; « Aujourd’hui, trop nombreux sont les brāhmanes malhonnêtes ou qui vivent de leurs prérogatives sans se soucier d’instruire ou de suivre eux-mêmes le sentier de la discipline, à tel point que je reconnais que ce n’est plus le fait de naître dans la caste brāhmane qui fait de vous un aspirant à l’état de Brahman, et que beaucoup de hors caste ont par leur vie sainte, mérité d’être appelé brāhmane. C’est ainsi qu’il donna la juste intonation sur laquelle devait être chantée cette invocation mantrique et la divulgua à tous afin que tous les hommes, femmes et enfants, quels que soient leur race, leur statut social ou leur croyance religieuse, puissent utiliser la puissance de ce mantra millénaire.
La Gāyatrī est donc cette prière adressée à Sāvitrī qui est, en premier lieu le dieu incitateur Savitur सवितृ , mais elle est en même temps la puissance créatrice Śakti शक्ति de ce dieu, et il est, en ce sens, légitime de la tenir pour une déesse. On l’assimile alors à la déesse de la Parole Vāc वाच्, divinité védique qui représente la « vibration éternelle ». Dans les Brāhmaṇa ब्राह्मण, qui sont des explications rituelles du Brahman fondamental, X°S au VII°S av JC, et considérés comme des textes annexes aux quatre Veda, Vāc est identifiée à Sarasvatī सरस्वती, la parèdre de Brahmā ब्रह्मा, qui préside aux fonctions intellectuelles et artistiques.
Sāvitrī reste cependant, en terme de divinité, une divinité purement liturgique, en ce sens qu’aucun temple ne lui est dédié, alors que son nom revient fréquemment dans les cérémonies. Les mythes et légendes qui la concernent sont très peu nombreux, mais le Mahābhārata महाभारतम् connaît une Sāvitrī qui joue dans la mythologie hindoue un rôle comparable à celui d’Orphée chez les Grecs.
Gāyatrī est la forme féminine de « Gāyatra » qui signifie hymne, chant. A l’origine, Gāyatrī est la personnification du Mantra. Vénérée autant par les hindous que par les bouddhistes, la déesse Gāyatrī est considérée comme "la Mère des Veda" ainsi que la personnification du Parabrahman परब्रह्मन् immanent, la Réalité Ultime Immuable qui sous-tend tous les phénomènes. Gāyatrī n’est pas seulement vue par tous les hindous comme une déesse mais comme une représentation du Brahman lui-même sous sa forme féminine.
En essence, la déesse est vue comme une combinaison de tous les attributs phénoménaux du Brahman, incluant le Passé, le Présent et le Futur, ainsi que les Trois Royaumes d’existence, que sont les plans inférieurs, intermédiaires et supérieurs.
La Déesse Gāyatrī est également vénérée comme la Trimūrti त्रिमूर्ति hindoue en une seule entité. La Trimūrti est représentée soit par les dieux Brahmā ब्रह्मा, Viṣṇu विष्णु et Śiva शिवा assis ou debout côte à côte, soit par les têtes de ces trois divinités réunies en un seul corps.
Qui peut être supérieur à Āditya आदित्य, le dieu des dieux ? La Gāyatrī !
Certains la considèrent comme la Mère de tous les dieux et la culmination de Pārvatī पार्वती, Lakṣmī लक्ष्मी et Sarasvatī .
Nous allons voir à présent sa représentation figurative.
Généralement, Gāyatrī est représentée assise sur un lotus rouge qui symbolise l’abondance.
Elle est assise en Lalitāsana ललितसनl, jambe gauche en général repliée et la droite relâchée vers le sol. Elle est vêtue d’un sari rouge et d’un corsage vert.
voir conférence " A quoi rêvent-ils ? ".
Elle se manifeste sous deux formes :
– Soit elle a cinq têtes, dix yeux qui regardent dans les dix directions de l’espace, et dix bras portant entre autres, les armes de Viṣṇu, symbolisant les dix incarnations, les daśāvatāra दशावतार et qui sont :
Matsya मत्स्य, le poisson ; Kūrma कूर्म, la tortue ; Varāha वराह le sanglier ;
Narasimha नरसिंह l’homme-lion ; Vāmana वमन le nain ; Parashurāma परशुराम l’homme à la hache ; Rāma राम le prince sur-homme ;
Kṛṣṇa कृष्ण, divinité majeure de l’hindouisme aux nombreux rôles, dont celui du guide spirituel ;Buddha बुद्ध, le réalisé ; et enfin Kalkī कल्कि, « le destructeur des impurs ». En sanskrit, son sens est à rapprocher des concepts de souillure (kalka), de temps (kāla), de dissolution et d’impureté. Il est donc celui qui reste encore à venir et qui s’incarnera pour mettre fin au Kali Yuga कलियुग, notre âge actuel.
Les armes que la Déesse Gāyatrī tient dans ses dix mains sont : Gadā गदा, la massue, Cakra चक्र la roue, le disque solaire, Shank जङ्घा la conque et Padma पद्म, le lotus refermé, symbolisant l’aube et le crépuscule et la pratique spirituelle. A ses quatre attributs, s’ajoutent : un autre Padma पद्म, un lotus plus ouvert (éveil de la pratique spirituelle), Paraśu परशु la hachette, l’Ankusha अङ्कुशधारी, le pic à éléphant ( pour dompter le mental comme on dompte un éléphant), le Kapal कपाल mais sous forme de calotte crânienne (kunda), et enfin les mudras Abahya अभय, le mudra de courage et d’absence de crainte symbolisé par la main droite relevée, ouverte et les doigts vers le ciel et le mudra Varada वरद, (ou Varamudra) le geste de don qui octroie symbolisé par la main gauche ouverte les doigts vers le sol.
Voici un verset célèbre décrivant la Gāyatrī sous l’appellation de Sāvitrī d’un texte tantrique shivaïte datant probablement du Xe siècle av J.C.
Il dit ceci :
« Je vénère Sàvitrî, déesse aux cinq visages à trois yeux, de couleur perle, corail, or, noire et blanche, dont la tiare incrustée de joyaux soutient le croissant de la lune, dont les vingt-quatre phonèmes sont les éléments qui constituent l’univers et dont les dix mains présentent le geste qui octroie et le geste de l’absence de crainte, le croc à éléphants, le lacet ( fait référence au pasha, le nœud coulant, symbole du lien à l’ignorance), la calotte crânienne blanche, le trident, la conque, le disque et une paire de lotus. »
Les vingt quatre phonèmes sont les trois octosyllabes du mantra, à savoir de ( tát savitúr …à …. pracodáyāt ) sans le Vyahrititraya qui est l’invocation « Oṃ bhūr bhuvaḥ svaḥ » que l’on retrouve dans d’autres slokas.
Ce verset est un exemple tiré de la vaste littérature des dhyâna- sloka ध्यान श्लोक, ces versets mnémotechniques qui rappellent comment il faut visualiser telle ou telle divinité. L’utilisation d’un tel verset varie aujourd’hui, selon l’identité religieuse. Nous constatons surtout que les attributs peuvent parfois varier.
Ses cinq visages sont donc de cinq couleurs différentes.
Ils représentent les cinq Prāṇa : Apāna अपान, Vyāna व्यान, Samāna समान, Prāṇa प्राण, Udāna उदान, ou les cinq Tattva तत्त्व : la Terre Pṛthvī पृथिवी ; l’eau Āpas अप् , l’air Vāyu वायु ; le feu Tejas तेजस् (ou Agni)) ; l’éther Ākāśa आकाश.
Dans son invocation en tant que Déesse Vāc illustrant Sarasvatī, la Gāyatrī prendra une autre représentation, à savoir une variation de celle de la Déesse de l’éducation, assise sur un lotus rouge et accompagnée d’un cygne blanc, symbole du discernement, et surtout véhicule de Brahmā ब्रह्मा, dont elle est la parèdre.
Elle a une seule tête et n’a que deux bras avec lesquels elle tient un livre symbolisant le savoir d’un côté et un remède de l’autre. Elle est souvent représentée devant un rayonnement solaire.
Elle peut parfois être la combinaison des deux représentations, et donc avoir ses 5 têtes de couleurs différentes et quatre bras, ou cinq têtes, et dix bras et accompagnée du cygne, ou bien encore avoir les autres attributs de Sarasvatī excepté celui de la Vina.
Gāyatrī est donc à la fois Śakti शक्ति (Puissance) et Devī देवी (Qualité), Savoir Connaissance, Pureté et Vertu. On sait que Sarasvatī incarne la Musique et la Poésie. Sous sa forme de Gāyatrī Devī, elle fait connaître aux hommes les quatre Veda.
La déesse prend donc trois aspects, celui de Vāc à l’aube, celui de Sāvitrī à midi et Sarasvatī au crépuscule.
C’est pourquoi, Gāyatrī, Sāvitrī et Sarasvatī sont les trois déesses qui président au Gāyatrī Mantra lors de ses trois déclamations rituelles journalières.
Je vous rappelle que la représentation figurative d’un mantra est considérée comme étant son aspect le plus grossier. Viennent ensuite son yantra यन्त्र et sa « cantilation », cette dernière étant considérée comme la forme sa plus subtile et la plus puissante. Toutefois, la symbolique iconographique offre une puissance imagée pouvant servir de support à la compréhension métaphysique et à l’attitude intérieure nécessaire au japa जप du mantra. La représentation imagée peut produire une vibration méditative et amplificatrice.
Je vous invite donc à essayer pour les prochaines déclamations de vos « Gāyatrī matinales », à visualiser la déesse Gāyatrī avant de vous estomper dans l’abstraction philosophique ou métaphysique.
Un peu de formes et de couleurs divines indiennes ne vous feront pas de mal.
Hari om tat sat
Jaya Yogācārya
Bibliographie :
– « Gāyatrī , the highest Meditation » de Sadguru Sant Keshavadas aux edts Motilal Banarsidass Publishers
– extraits : « Rituels de méditation et représentations plastiques de divinités indiennes à l’époque médiévale » de Goodall, Dominic - Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 2004- portail Persée web
– « Pdf Sathyam- Gāyatrī » aux edts Sathya Sai baba - Prema
– Adaptation et commentaire de Jaya Yogācārya