Les mantras : 2e partie
Le Gāyatrī mantra : 1
Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du 4 nov 2016
Dans notre étude du son fondamental, nous avons abordé la dernière fois la science des mantras et avons analysé le célèbre Mahāmṛtyuṃjaya mantra.
Nous allons ce soir nous pencher sur le tout aussi célèbre Gāyatrī mantra, mais avant, nous allons revoir quelques concepts sur les Mantra मन्त्र.
Un mantra est composé de lettres, les Varna वर्ण. Les lettres et leurs combinaisons en syllabes et en mots sont toutes les formes du Śábda शब्द manifesté, du son fondamental, absolu. Ils sont tous et chacun, des formes de l’impulsion créatrice émise par la bouche, entendue par l’oreille et saisie par l’esprit. Les relations de Varna, la lettre, de Nāda नाद le son, de Bindu बिंदु l’énergie du son transcendé, des voyelles et des consonnes du langage des Dieux qu’est le sanskrit, constituent dans un mantra, la Devatā देवता, l’aspect divin sous des formes variables. Certains pouvoirs de la déité sont inhérents à certains varnas, tels les bīja बीज mantras. Le mantra d’une divinité est cette combinaison de lettres qui révèle la déité à la conscience du pratiquant qui l’a évoquée par la sadhana सधन la pratique. Le Gāyatrī mantra, comme d’autres grands mantras, n’est donc pas un simple assemblage de mots. Pour le yogi, ce mantra représente une masse d’énergie rayonnante. Les paroles donnent des informations aux hommes du monde, tandis que les mantras éveillent un pouvoir supra humain, la Śakti शक्ति.
Un mantra n’est pas la même chose qu’une prière. Une prière est un mouvement exprimé dans des mots que l’adorateur choisit et qu’il porte vers le divin. Un mantra est considéré comme la Śakti elle-même, le son lui-même émanant de l’absolu et qui sera étroitement associé aux processus du souffle, des tattva तत्त्व, des éléments, des résonances physiques, énergétiques, psychiques. Ainsi la substance du mantra est la conscience manifestée sous forme de lettres, de syllabes et de mots. Les lettres sont en fait le yantra यन्त्र de l’absolu, à savoir la forme grossière de l’énergie, ou sthūla स्थूल.
Dans tout mantra, il y a donc deux formes ou deux Śakti.
La mantra-Śakti, et la sadhana-Śakti . La mantra-Śakti est l’énergie potentielle, la sadhana-Śakti est l’énergie libérée par la pratique qui transforme la forme grossière du mantra sous sa forme de lettre ou de yantra, en énergie divine. L’émission d‘un mantra juste par les lèvres, sans connaissance et sans signification est un simple mouvement de lèvres et là, il est dit que le mantra dort.
"Le mantra est enfermé dans la souillure de la naissance et de la mort par sa simple prononciation", nous dit A.Avalon. Par la pratique correcte, le mantra agit sur les processus subtils, sūkṣma सूक्ष्म qui sont entre autres, la purification du corps et de la parole, la purification de la langue, la libération des énergies subtiles, voire supérieures.
Revenons au Gāyatrī mantra
Devanāgarī translitération i.a.s.t
ॐ भूर्भुवः स्वः । Oṃ bhūr bhuvaḥ svaḥ
तत् सवितुर्वरेण्यं । tát savitúr váreṇyaṃ
भर्गो देवस्य धीमहि । bhárgo devásya dhīmahi
धियो यो नः प्रचोदयात् ॥ dhíyo yó naḥ pracodáyāt
Le Gāyatrī mantra provient du ṚgVeda ऋग्वेद. Il est considéré comme le mantra le plus sacré des Veda.वेद. En lui réside le Veda. C’est donc un hymne védique à Sāvitrī सावित्री, le soleil et son pouvoir illuminant et fécondateur qui peut se faire dans une rivière, lors du lever et du coucher de cette étoile. C’est surtout une métaphore pour invoquer le pouvoir éclairant de la conscience afin d’illuminer notre esprit et nous guider sur le chemin de l’existence.
En versification, ce mantra est bâti de trois vers de huit syllabes, rythme propice à la communication divine et que l’on trouve exclusivement dans le ṚgVeda.
Analyse
– Oṃ ॐ est la syllabe mystique sacrée des traditions spirituelles que sont l‘Hindouisme, le Bouddhisme, le Jaïnisme, le Sikhisme. C’est l’invocation du son fondamental créateur qui pénètre la matière endormie, et donc l’esprit endormi. C’est l’invocation du Brahman ब्रह्मन्.
– bhūr bhuvaḥ svaḥ भूर्भुवः स्वः
La Gāyatrī est introduite par le Vyahrititraya व्याहृतित्रय la proclamation rituelle des trois mondes triloka त्रिलोक : bhūr bhuvaḥ svaḥ .
Le loka लोक est un monde, un plan d’existence et de conscience. La cosmologie théologique hindoue en compte 14, dont sept mondes inférieurs ou infernaux, qui constituent l’œuf cosmique, le Brahmanda ब्रह्माण्ड.
Les sept mondes supérieurs, ceux qui nous intéressent, saptaloka सप्तलोक se déroulent comme suit :
1) Satyaloka सत्यलोक : le monde de la réalité absolue Satya, vérité aussi appelé Brahmaloka, correspond au Sahasrāra cakra सहस्रार चक्र. C’est dans ce monde de Brahma que demeurent les âmes qui se sont libérées du saṃsāra संसार, de la roue de la réincarnation, autrement dit, les libérés vivants.
2) Tapoloka तपोलोक : le monde de l’ardeur, tapas तपस्, habité par les divinités majeures, correspond à l’ Ājñā cakra आज्ञा चक्र.
3) Janaloka जनलोक : le monde de la créativité habité par les fils de Brahma ब्रह्म « nés du mental » (les kumāra कुमार) et les Ṛṣi ऋषि, et qui correspond au Viśuddha cakra विशुद्ध चक्र.
Dans le Veda, les kumāra (ou Ashvin अश्विन् ) sont les fils éternels de Brahma. Ils vinrent au monde avant la création des organes des sens. Sans les organes des sens, l’esprit ne peut connaître le monde matériel ; l’esprit est donc pur ; en conséquence, les premiers fils de Brahma sont décrits comme des garçons innocents, pré-pubères ; tel un esprit qui ne désire pas agir : incapable d’engendrer des enfants ou de répondre aux questions de Brahma. Brahma réalise que pour une interaction fructueuse avec le monde, il a besoin de liens qui reçoivent des stimuli et transmettent les actions. Il en résulte la naissance des dix fils suivants, les Prajā-pati प्रजापति : cinq rappelant les organes des sens et les cinq autres, les organes de l’action.
Les Ṛṣi quant à eux, sont les auteurs des hymnes védiques, poètes, voyants, patriarches, sages, yogis, qui, en méditation profonde, entendirent les « hymnes » du Veda émanés de l’absolu. Le Ṛṣi est celui qui a vu les vérités éternelles.
Après la période védique de la culture indienne, le brahmanisme conçoit les sept Ṛṣi (saptarṣi) comme d’anciens sages qui auraient « entendu » les Śruti श्रुति, les textes sacrés révélés, le Veda primordial.
Ces trois premiers mondes, Satyaloka, Tapoloka et Janaloka constituent le Brahmaloka ब्रह्मलोक (le monde divin), également nommé Karanaloka करणलोक (le monde Causal), où évoluent les entités purement spirituelles : les Mahadeva महादेव, les divinités majeures et les Mahātmā महात्मा , les grandes âmes.
Viennent ensuite ;
4) Maharloka महर्लोक : le monde de la grandeur divine Mahat महत्, aussi appelé Devaloka देवलोक, habité par les sages et les illuminés, correspondant à Anāhata cakra अनाहत चक्र.
5) Svarloka स्वर्लोक : le monde céleste (suvar ou svar), situé entre le soleil et l’étoile polaire, royaume du dieu Indra इन्द्र, le Seigneur du Ciel dans la mythologie védique. Indra évoque la puissance physique et mentale manifestée par les combattants vainqueurs dans l’antique société. Il est le deva le plus souvent mentionné dans le Ṛgveda. Il correspond à Maṇipūra cakra मणिपूर चक्र.
6) Bhuvarloka भुवर्लोक : le monde du mental, situé entre la terre et le soleil, habité d’êtres semi-divins, et incluant le Pitṛ loka पितृ le monde des ancêtres. Il correspond à Svādhiṣṭhāna cakra. स्वाधिष्ठान.
7) Bhūrloka भूलोक : le monde terrestre, perçu par les cinq sens et correspondant au Mūlādhāra cackra मूलाधार चक्र. Est inclus dans le bhuloka, le Pretraloka, le monde intermédiaire des défunts.
Ensuite viennent les 7 plans inférieurs les Narakaloka, नरकलोक que je ne développerai pas ici.
A" bhūr bhuvaḥ svaḥ", on associe le plus souvent ; à bhūr , le plan physique, celui de la matière et du corps ; à bhuvaḥ , le plan astral ou le plan de l’énergie et de la pensée et à svaḥ le plan céleste, voire spirituel et de l’âme.
Les occidentaux rationalistes que nous sommes doivent approcher le concept de ces lokas par une démarche métaphysique nous aidant à mettre en place les possibles degrés de l’élévation spirituelle et de la transcendance. La science et la métaphysique ne peuvent nous mettre qu’à la porte du sanctuaire de l’expérience. L’absolu, le Brahman ne peut être démontré par la raison parce que ce n’est pas un objet de connaissance, mais de transcendance. Les Śāstra शास्त्र nous disent ; « On ne peut connaitre le Brahman qu’en étant Brahman », c’est-à-dire par la réalisation spirituelle.
Les lokas représentent ainsi les états de conscience. Bhūrloka est l’état de conscience normale, et les lokas au-dessus sont des états de conscience supra-normale que propose l’expérience spirituelle. C’est le processus de l’ascension par l’initiation.
– Tat तत् signifie quant à lui, Cela. Soit on le traduit par Cela, le Paratman परात्मन् le transcendant, soit on le relie à la formule précédente « bhūr bhuvaḥ svaḥ » que l’on vient de présenter.
– Savitur सवितृ est d’un point de vue général, le créateur mais représente aussi le divin Sāvitrī, le pouvoir vivifiant contenu au sein du soleil. Savitur est le cas possessif de Sâvitri, dérivé de la racine Sû, ‘qui signifie « apporter ». Sāvitrī est par conséquent ce qui apporte tout ce qui existe. Apporter et créer toute chose c’est ce qui est appelé Sāvitrī सावित्री. Sāvitrī est donc la Śakti शक्ति lumineuse et rayonnante de Sūrya सूर्य. Sāvitrī est donc le principe féminin solaire de Surya. Surya, le soleil est savitar सवितर, son émanation est Sāvitrī.
De même le mental est savitar, la parole est sāvitrī.
En tant que déesse, il est dit dans la Sāvitrī Upaniṣad उपनिषद् du Sama veda सामवेद.
"La première enjambée qu’accomplit Sāvitrī. fut la terre « bhūr tát savitúr váreṇyaṃ ».
Le feu est digne de vénération, l’eau et la la lune le sont également, sous entendu la terre.
La seconde enjambée fut la région intermédiaire : « bhuvaḥ bhárgo devásya dhīmahi ». Le feu est cette splendeur (Bharga) et le soleil se manifeste sous forme de lumière.
La troisième enjambée fut le région céleste. « svaḥ dhíyo yó naḥ pracodáyāt », les hommes et les femmes qui respectent les règles de vie parviennent à la connaissance de cette déesse Sāvitrī et peuvent maitriser la mort et conquérir l’immortalité."
– Vareṇyaṁ र्वरेण्यं est issu de varaniyam qui signifie adorable. Il devrait être médité et adoré pour que nous puissions être délivrés de la misère et de la mort.
– Bhargo भर्गो est la déclinaison de Bhargah. Par Bhargah, on entend l’ Āditya आदित्य devata, demeurant dans la région du soleil et le rayonnement de son mandala, dans toute sa puissance. Il est au soleil ce que notre esprit est à notre corps. De même qu’il est dans l’éther externe, il est aussi dans la région de notre cœur.
Il est en nous le feu sans fumée.
Bhargah est fait de : la racine bhrij qui signifie mûrir, croître, détruire, révéler, briller, irradier. Il révèle donc la lumière de toute chose : de la racine bha, qui signifie diviser les choses en classes différentes : de la lettre Ra qui signifie la couleur, car il produit la couleur des objets crées : et enfin ga, voulant dire "allers et retour s constants".
Bhargah est l’âme du soleil.
– Devasya देवस्य est le génitif de Deva, qui s’accorde avec Savitur. Deva est le rayonnant et le joueur. Cela fait référence à la līlā लीला et à la Māyā माया, au jeu illusoire du monde. Surya joue en permanence avec la création, l’existence et la destruction, mais son rayonnement met tout en joie.
– Dhimahi धीमहि vient de "dhyai" méditer et Dhimahi est l’injonction « méditons ! ».
– Dhīyo धियो yó यो naḥ नः a pour racine Dhī = intelligence, pensée, méditer : yó naḥ = puisse-t-IL agir sur : yó lui, naḥ nôtre ;
Dhîyo est donc notre intelligence.
– Pracodayāt प्रचोदयात vient de la racine pracod, pracud signifiant lancer, jeter, stimuler, inciter, illuminer. Nous le traduirons donc par :
« Puisse t-il diriger, éclairer, illuminer, » sous entendu ; puisse t-il nous diriger dans les quatre parties de l’existence qui sont ( Dharma धर्म, le chemin de vie, Artha आर्थ, l’acquisition des biens, Kâma काम l’accomplissement du désir et Mokṣa मोक्ष, la libération) ; Le Bhargah dirige nos facultés externes mais aussi internes selon ces étapes sur le chemin de l’existence.
Oṃ bhūr bhuvaḥ svaḥ
tát savitúr váreṇyaṃ
bhárgo devásya dhīmahi
dhíyo yó naḥ pracodáyāt
De nombreuses traductions sont données du Gāyatrī mantra.
Arthur Avalon, indianiste de renommée nous donne celle-ci.
« Om, les sphères terrestres, atmosphériques et célestes. Contemplons le merveilleux esprit solaire du divin créateur. Qu’il dirige nos esprits vers l’obtention du Dharma, de l’Artha et de Mokṣa ; Om »
Je vous propose humblement la mienne :
« Om, nous invoquons les trois mondes, physique, astral et causal. Nous adorons la splendeur solaire du créateur. Méditons sur lui. Puisse-t-elle illuminer notre intelligence et nous mener sur le chemin de l’existence. Om »
Nous pourrions trouver beaucoup d’autres traductions mais l’important est d’en comprendre le sens profond. La Gāyatrī (ou le Gāyatrī mantra) est donc un hymne adressé au dieu Soleil, dont la lumière est assimilée à celle de l’Intelligence cosmique capable de stimuler nos esprits.
Nous parlerons ultérieurement de sa représentation figurative en tant que déesse.
Nous allons pour finir, le prononcer correctement en sanskrit en respectant les varnas et nadas sacrés qui la composent.
Hari om tat sat
Jaya Yogācārya
Bibliographie :
– « La doctrine du Mantra » de Arthur Avalon aux edts Orientales
– « Méditation et matras « de Swami Vishnu-Devananda aux edts « Om Lotus Publishinig Compagny »
– « 108 Upanishads » de Martine Buttex aux edts Dervy
– « Lexique sanskrit- Français » de Gérard Huet
– Commentaire et adaptation de Jaya Yogācārya