« Le culte de la Déesse n°4 - Sri Vidya »
conférence donnée par Jaya Yogacharya en cours de méditation du vend 15 mai 2015
Vâch, la parole sacrée.
Nous reprenons ce soir l’étude de Lalita Tripurasundari que nous réalisons déjà depuis plusieurs mois, et dont j’ai déjà longuement parlé dans les trois précédentes conférences.
Rappelez-vous que l’approche de cette divinité emblématique du tantrisme se fait selon trois aspects.
Sa représentation figurative, son sri yantra et son grand mantra ; trois formes de manifestations allant de la plus grossière à la plus subtile.
Bien que considérée comme grossière, la première partie n’en est pas pour le moins complexe puisqu’il s’agit, pour connaître la déesse, la dispensatrice du savoir et de la délivrance, d’être apte à pratiquer son rite.
Avant donc de s’engager dans le travail de l’élaboration graphique puis « visualisatrice » du sri yantra, il convient, bien entendu de savoir vénérer la Déesse en récitant les hymnes des louanges qui lui sont dédiés et les offrandes adéquates.
Quant au mandala, au Nava chakra, plus connu sous le nom du Sri Yantra, il est nécessaire pour l’activer, de le réaliser d’abord graphiquement, pour ensuite l’aborder par les techniques de concentration, à savoir les trataks pour enfin finir par une visualisation créatrice.
Ce travail nécessitera de prendre conscience de la présence dans le yantra des nombreuses divinités qui illustrent l’essence même de la déesse.
Cette identification pourra se faire par l’évocation des quinze principes divins qui correspondent aux quinze phonèmes constitutifs du mantra secret de la déesse et qui représentent son expression la plus subtile.
Nous allons y revenir.
Je voudrais avant, me pencher sur ce concept subtil de la parole tantrique.
Dans la tradition spirituelle, depuis les âges les plus anciens, la parole a toujours eu un rôle de pouvoir, ne serait-ce que par l’enseignement initiatique oral qui prévaut sur tout autre type d’enseignement. Mais surtout, au-delà des stances philosophiques, des textes ou commentaires, la forme essentiellement utilisée comme support des rites fut le mantra.
La parole parlée qu’est le mantra est ici considérée comme divine.
Le mantra est spécifiquement sanskrit. Sa prononciation est une émanation phonématique qui relie au divin. S’il est celui d’une divinité, c’est que l’on considère que cette dernière ayant pour essence aussi la parole, son mantra est la manifestation de son énergie. Qui dit énergie dit conscience. Ainsi donc l’aspect de conscience de la divinité devient aussi celui de son énergie exprimée par la parole.
L’alphabet sanskrit des cinquante phonèmes sacrés avec lesquels les mantras sont formés, va de la première lettre A à la dernière KSHA.
Nous pourrons trouver cependant des variations à 49 ou 50 ou 51 syllabes.
Essentiellement, l’alphabet comprend donc 14 voyelles, deux voyelles spéciales, l’anusvàra et le visarga. Ensuite viennent les 33 consonnes et la lettre KSHA plus une ou deux dernières syllabes particulières.
Chaque lettre correspond à un aspect différent de la puissance créatrice de la divinité et fait naître en elle un des plans de la manifestation, nous dit Andre Padoux.
Ces plans sont différents et peuvent s’exprimer là encore du plus grossier au plus subtil, du plus humain au plus cosmique. Étant à l’œuvre aussi bien dans la divinité que dans le plan humain, la parole naît en l’homme et avec elle la conscience de lui-même et celle qu’il a du monde.
Mais pour les théologiens, la parole humaine n’est un moyen de connaissance que parce qu’elle inclut la présence de la parole suprême, Pâra Vâch, lui permettant de s’appuyer sur des fondements éternels.
C’est le grand principe de la pensée spiritualiste indienne.
Rien ne peut-être manifesté dans le monde qui ne le soit déjà dans la divinité.
Autrement dit, la manifestation est en connexion ininterrompue avec la Conscience.
Au plan de l’humain, chaque parole donnée repose donc en partie, malgré elle, sur la parole suprême.
L’intelligence du langage humain l’y exprimera différemment.
Allant plus loin, certains textes diront, que c’est de cette parole animée par la Conscience suprême, que l’univers manifesté se déploie.
Cette parole faisant advenir tout ce qui existe.
Les mots sont créateurs ! Les pensées de même !
Pour certains théoriciens spiritualistes indiens ;
– Para Vâch, la parole suprême, se trouve au fond de l’être humain, en tant que parole silencieuse, préambule aux autres stades de son expression. Dans son état de germe et de silence, elle y est lumineuse, créatrice.
– D’elle, naît une énonciation intérieure, une esquisse de l’expression.
– Elle sera suivie d’une parole dite voyante. Cette parole, toujours intérieure et non discursive, parceque que synthétique, est toujours immergée dans le Je, dans le moi fondamental, transcendantal, qui n’est pas encore confronté à la dualité avec le Cela, puisqu’elle est encore Cela.
– C’est à ce stade que se formerait donc le langage intérieur, le Je/objet, la perception du monde et sa nomination, sa reconnaissance. C’est le départ du discours intérieur, qui crée en pensant.
– Enfin, ce que l’on appelle la parole étalée, est la parole concrète, avec les mots prononcés.
C’est le plan du langage, de l’objectivité, mais aussi de la dualité. Le monde où nous parlons.
Ainsi donc, nous voyons ici comment s’établit le rapport des mots aux choses, comment s’acquiert la connaissance et comment fonctionne la mémoire. L’on peut voir de même, la puissance du silence et la qualité du dialogue intérieur que nous entretenons, sources des créations possibles de notre existence.
Bien sur, d’un point de vue physique, la parole et le vayu, le souffle, voire le Prâna, sont non dissociés. La parole dans le corps d’un point de vue tantrique y est surtout sous l’aspect d’une vibration subtile, le nâda, le son subtil. Le nâda couvre tous les plans de la manifestation du son, du son originel au son audible et inaudible.
Associé de même dans le corps au bindu, en tant que point minuscule concentrant une énergie conscience maximale, le son, donc la parole, se déploie à partir de lui ou s’y résorbe.
Les bindus étant associés à certains chakras, la parole peut s’élever ou naître dans le corps à des endroits tels que la gorge bien sur en tant que parole étalée, mais aussi du cœur ou de l’espace frontal, en tant que parole subtile.
Pour revenir aux mantras, c’est un vaste sujet qu’il nous faut condenser.
Les mantras sont des formules sacrées dans lesquelles est enchâssée une énergie. Ce sont des formules transmises par la tradition. Pour les mantras tantriques, ils sont souvent construits avec le mantra OM puis le nom de la divinité invoquée suivi d’une exclamation finale dont il existe plusieurs formes telles que par exemple, Namah, Svaha, Haum, etc.
Les monosyllabes ou groupes de syllabes forment les bija mantras, telles que Aïm pour Saraswati, Shrim pour Lakshmi, Klim pour Kali, Hrim pour Shakti, etc.
Celui qui nous intéresse ce soir est celui de la Déesse Lalita Tripurasundari, le Sri vidya mantra. Sous sa forme la plus courante, son mantra est formé de quinze syllabes (panchadasi) réparties en trois groupes.
KA E I LA HRIM
HA SA KA HA LA HRIM
SA KA LA HRIM
Ce mantra appartient aux mantras royaux. Le Sri Vidya mantra est considéré depuis les âges les plus anciens comme le mantra ayant procuré le succès à des grands yogis et rishis. En accord avec les anciens textes, ce mantra est d’origine divine.
Les érudits prétendent que ce mantra cache les pouvoirs qui relient l’homme à son corps intérieur, voire énergétique. D’autres l’associent à l’illumination du mental.
En activant les chakras et la kundalini, il développe aussi et surtout les pouvoirs psychiques tels la télépathie, la clairvoyance, la téléportation, la clair-audience, l’omniscience.
le Panchadasi ou mantra aux 15 syllabes peut avoir d’autres déclinaisons selon les aspects de la déesse.
Celui-ci est fait de 3 sections (les kutas), chacune finissant par le mantra HRIM, qui est le bija mantra par excellence de Shakti, donc de Lalita. Ce mantra est dérivé du verset sacré suivant :
KAMOYONIH KAMLA VAJRAPANIR
Kama, Dieu de l’amour, Yoni la matrice, Kamla, le féminin, Vajrapani, le dieu Indra,
GUHA HASA MATRISHV ABHRAM INDRA
Guha, la cavité du coeur, hasa, le sourire, la beauté, matrishv le souffle, Abhra l’or le ciel, Indra, le dieu Indra,
PUNAR GUHA SAKALA MAYEYA CHA
Punar, à nouveau, guha, le coeur, sakala le TOUT, mayeya cha, la maya illusion,
PURUHCHAIVA VISHVAMATADI VIDDYOM
purusha, le seigneur, vishva, omniprésent, viddyom, omnipénétrant.
Kama donnera la syllabe Ka.
Yoni donnera le son AYE qui donnera la syllabe E.
Kamla donnera le syllabe EEE, syllabes des bijas mantras Shreem Kleem présents dans le long mantra de Kamala, une des shakti de Vishnu (soit I) et vajrapanir donnera Indra et un de ses bijas mantras avec la syllabe LA de LAM.
Guha donnera la syllabe Hring, ancien nom de HRIM, le bija mantra de la shakti.
Hasa donnera HA et SA,
Matrishva pour Matrish vayu donnera la syllabe KA pour l’espace créé par le souffle,
Abhra donnera la syllabe Ha pour indiquer le ciel,
Indra (La) et HRIM.
Sakala donnera SA KA LA pour indiquer la totalité et HRIM pour finir.
KAMA (KA) YONI (AYE) KAMLA (EEE) VAJRAPANIR INDRA (LA) GUHA (HRING)
HASA (HA SA) VARNAS MATRISHVA VAYU (KA) ABHRA (HA) INDRA (LA)
PUNAH GUHA (HRING) SAKALA VARNAS MAYA (HRING).
Pour revenir à des principes plus simples, le Sri Vidya mantra repose donc sur trois parties. IL y a plusieurs interprétations. En voici une.
– la 1re partie est le premier vers ;
KA E I LA HRIM
—Ka est le désir du créateur. Sans désir du divin à se manifester, pas de manifestation.
—E est la matrice, la prakriti, l’illusion ou le pouvoir de l’illusion.
—I est Vishnu, le dieu de la préservation et des lois cosmiques.
—LA est le pouvoir de bénédiction (INDRA).
—HRIM, la puissance de transformation de notre nature par l’énergie, le pouvoir de la Shakti.
– La 2e partie est le deuxième vers ;
HA SA KA HA LA HRIM
—HA est l’espace de Vayu, le souffle voire Akasha, mais aussi SIVA.
—SA est le temps, mais aussi Shakti.
—KA à nouveau est la création.
—HA est toujours le souffle illustrant l’expression du divin dans le Prâna.
—LA est à nouveau la bénédiction.
—HRIM, le pouvoir de la Shakti.
La 3e partie est le 3e verset ;
SA KA LA HRIM
—SA est le temps, l’éternité, le TOUT, SIVA.
—KA est l’origine, ce qui au-delà et ce qui est inconnu.
—LA à nouveau est la bénédiction.
—HRIM, le pouvoir de la Shakti.
La 1re partie du sri Vidya représente la tête de la déesse et la parole Vâch et son pouvoir d’élocution.
La 2e partie représente son buste, de son cou à ses hanches, à savoir le domaine de Kamaraja, le royaume de l’amour.
la 3e partie symbolise enfin la partie au-dessous du corps, et symbolise la shakti originelle et son pouvoir de transformation.
Ces trois stances illustrent aussi les trois premiers Védas, à savoir le Rig, le Yajur et le Sama Veda.
D’autres versions où les syllabes sont interchangées sont des déclinaisons du Panchadasi.
Une assez courante attribuée à Lalita commence par la syllabe HA
et donne ceci ;
HA SA KA LA HRIM
HA SA KA HA LA HRIM
SA KA LA HRIM
A partir de cette version, nous trouverons la série des 5 Pancha-sundari qui seront chantés selon les pouvoirs demandés à la Déesse. Chaque mantra reprenant les mêmes syllabes mais interchangées.
Ces pouvoirs étant, la communication, l’émanation, la préservation, l’absorption, et l’état d’illumination.
A titre d’exemple, pour le pouvoir de la parole, la déclinaison sera :
HA KA LA SA HRIM KA E LA SA HRIM KA LA SA HA HRIM.
Ainsi donc ce mantra très puissant de Lalita ne peut être prononcé sans la démarche rituelle qui le précède, sans la dévotion qui va avec et sous la guidance du maître spirituel. Trouvé dans un livre et lu, le mantra peut-être inefficace, mais non convenablement prononcé, sera néfaste. Un mantra contient en lui une force de nature surnaturelle peu aisée à contrôler. Il faut donc s’en rendre maître. Le japa du sri vidya a pour but d’accompagner l’éveil de l’énergie lorsque la kundalini perce les chakras et emmène l’esprit de l’adepte vers la divinité.
Le mantra est donc considéré comme une puissance divine qu’il vous faut savoir maîtriser.
Hari Om tat Sat
Jaya Yogacharya
Bibliographie :
« Comprendre le Tantrisme » de André Padoux aux edts Albin michel.
« L’enseignement secret de la Divine Shakti » de Jean Varenne aux edts Grasset.
Adaptation et commentaires de Jaya Yogacharya.