Je voudrais ici revenir sur le Raja Yoga et faire quelques rappels fondamentaux qui sous-tendent les sutras de Patanjali.
Souvenez-vous des derniers enseignements. Nous y avons passé en revue les six grands Darshans de la pensée Indienne dont trois sont mineurs et trois majeurs.voir Fenêtre sur le Védanta.
Les trois mineurs sont :
- le Nyaya de Gautama du 5°s ap JC qui postule que Dieu est le créateur du monde.
- le Vaisheshika de Kanada rishi 5°s ap JC qui présente une vue matérialiste de l’univers.
- le Purva Mimansa de Jaïmini du 3°s av JC qui est un système dualiste fondé sur les notions de bien et de mal.
Les trois majeurs sont :
- la philosophie du pur advaïta Védanta de Maharishi Vyasa.(Uttara mimansa). Son postulat ; "seul Brahman, l’absolu inqualifiable est réel, tout ce qui est son reflet est irréel ". C’est un système non dualiste du 2°s ap JC.
- la philosophie du Samkhya de kapila Maharishi. Son postulat ; " le monde repose sur l’interaction du Purusha et de la Prakriti ". C’est un système dualiste. du 7° av JC.
- la philosophie du Raja Yoga de Patanjali, traité d’études des mécanismes mentaux. Son postulat ; "La réalisation peut être atteinte par la transcendance du mental". Datation : entre le 3°s av JC et le 5° s ap JC.
- la philosophie du pur advaïta Védanta de Maharishi Vyasa.(Uttara mimansa). Son postulat ; "seul Brahman, l’absolu inqualifiable est réel, tout ce qui est son reflet est irréel ". C’est un système non dualiste du 2°s ap JC.
Le Raja yoga de Patanjali est considéré comme étant le yoga classique brahmanique de référence et s’appuie sur les fameux sutras.
Nous allons donc survoler le contenu de ces sutras.
Les yogas sutras de Patanjali représentent un corpus d’aphorismes ou sentences déclaratives au nombre de 195 répartis en quatre chapitres que l’on nomme des padas.
Le mot " sutra " ou verset, signifie aussi " fil ". Ceci implique l’idée que les paroles écrites véhiculent une pensée suivie. Comme un mala, les aphorismes sont des perles et le fil, la connaissance qui les sous-tend.
– Samadhi pada, 1er pada, est le chapitre de la réalisation.
Il traite de la théorie générale du yoga et de ses différents niveaux de supra-conscience. Il décrit le but qu’est la réalisation spirituelle et quelle est sa nature.
– Sadhana pada, le 2 ième est le chapitre de la pratique spirituelle.
Il traite quant à lui de la pratique spécifique pour atteindre ces niveaux de samadhi.
Nous trouverons dans ce chapitre là, le descriptif des techniques d’ascèse, comprenant les cinq premières étapes de l’Asthanga yoga (le yoga aux huit branches).
– Vibhuti pada, le 3 ième chapitre est le chapitre des pouvoirs.
Il traitera à son tour des trois dernières étapes de l’Asthanga yoga et des pouvoirs surnaturels, (siddhis) qui viennent avec ces pratiques .
– Kaivalya pada, le 4 ième chapitre est le chapitre de la dissolution.
Ce dernier aborde le processus de la libération et de l’illumination.
L’étude des sutras portant sur les mécanismes du mental, le grand concept d’entrée va être celui des fluctuations du mental que l’on appelle les vrittis, plus communément appelés les " Vagues de pensées".
Pour Pantanjali, il y a 5 vrittis différents.
Pramâna la perception correcte
Viparyaya la perception erronée
Vikalpa l’imagination
Nidrà le sommeil
Smritayah la mémoire
Ce concept des 5 vrittis est abordé dès le premier chapitre, Samadhi pada.
Ces mécanismes mentaux imprègnent notre esprit ou notre soi profond, mais sont sources de perturbations.
La problématique va porter sur la manière de calmer ou de maîtriser ces activités mentales, afin d’atteindre un champ de conscience élevée. Patanjali va mettre en évidence les moyens pour y arriver, tels que ;
*l’étude, la foi, l’expérience de l’énergie, le lâcher-prise.
Il va de même présenter les obstacles à cette quête et leurs conséquences fâcheuses tels que ;
*l’abattement, la maladie, le doute, l’inconstance.
De même, il donnera des clés pour les combattre, telles que ;
*la compassion, la maîtrise du souffle, une expérience lumineuse, la vigilance.
Dans le deuxième chapitre, la Sadhana pada, chapitre de la pratique spirituelle, l’auteur décrit la mise en œuvre au moyen de techniques physiques ou mentales, du processus de transformation. Après avoir identifié les célèbres vrittis, il aborde les cinq afflictions du champ émotionnel que sont les cinq kleshas.
Ces cinq kleshas sont :
Avidya l’ignorance de la réalité telle qu’elle est.
Asmita le sentiment du Je.
Raga le désir.
Dvesha le rejet.
Abhinivesha la peur de la mort.
La manifestation des kleshas se situe au niveau de la douleur et de la conduite de l’homme.
Par quoi donc les vrittis, qui sont les conséquences des kleshas, peuvent-elles être éliminées ?
Il n’y a pour Patanjali qu’une seule réponse.
Dhyana, la méditation.
Pour le sage, tout est douleur car tout est soumis au changement et à l’impermanence. Seule la pratique spirituelle donne le discernement et les moyens pour éviter les douleurs à venir.
Après avoir présenté les 5 kleshas ou afflictions émotionnelles dans la première partie du 2 ième chapitre, Patanjali aborde ensuite les moyens pour développer la discrimination, susceptible de nous débarrasser de ces afflictions. Il va donc présenter les célèbres piliers du Raja Yoga (dit Yoga Royal), traité de psychologie avant l’heure. Ce yoga de " l’étude des mécanismes mentaux " porte aussi le nom d’ Asthanga yoga (Astha signifie huit et Anga membres).
Le sutra suivant ouvre le thème du Raja Yoga.
Les huit membres de l’Asthanga Yoga sont :
Yamas les Observances ou règles de vie par rapport aux autres.
Niyamas les Observances ou règles de vie par rapport à soi-même.
Asanas la pratique des Postures.
Pranayama le contrôle de l’énergie vitale par la Respiration.
Pratyahara le Retrait des Sens
Dharana l’art de la Concentration parfaite.
Dhyana la Méditation profonde.
Samadhi l’état d’Union.
Le yoga est un vaste ensemble de disciplines qui visent au perfectionnement physique et à la purification de tout l’appareil mental. Dans le Raja Yoga, les huit parties sont interdépendantes et d’égale valeur chacune. Toutefois, l’on appellera Bahir-anga, les quatre premiers piliers, les branches externes et l’antar- anga, les quatre derniers, les branches internes.
Les Cinq Yamas ou observances morales par rapport aux autres sont.
Ahimsa Non-violence.
Satya Véracité.
Asteya Honnêteté.
Brahmacharya contrôle de la sensualité.
Aparigraha la non-possession des biens matériels.
Les Cinq Niyamas Observances morales par rapport à soi même.
Shaucha La pureté.
Santosha Le contentement.
Tapas Les austérités, pratique.
Svadhyaya L’étude de Soi.
Ishwarapranidhana L’abandon à ce qui est supérieur.
En ce qui concernent les Asanas et Pranayamas, vous êtes sensés les pratiquer pour passer aux processus de méditation. C’est pour cela que la pratique du ha-tha yoga a sa place dans la quête méditative.
Le Pratyahara, quant à lui, est le fameux retrait des sens. L’animal symbole de ce repli est la tortue qui se retire sous sa carapace. Les Jnanas indriyas ou organes des sens sont par nature tournés vers l’extérieur pour appréhender le monde phénoménal. La condition pour découvrir votre univers intérieur passe par leur retrait. Ce retrait intensifié amènera l’état de Dharana la concentration qui, poussé à l’art de la concentration, devient l’état d’ékagrata, à savoir l’état de concentration parfaite. L’histoire qui illustre l’état de Dharana est celle d’Arjurna et du poisson.
Les trois derniers piliers de l’Asthanga yoga abordent un concept fondamental qui est celui du Samyama.
Le samyama est la pratique, voire la maîtrise, obtenue des trois derniers piliers qui sont :
Dharana-Dhyana-Samadhi.
Elle repose sur la compréhension exacte de leurs différences.
- Dharana, la concentration.
Dans le processus de Dharana, le flux de conscience sur l’objet de méditation est parfois interrompu.
Il y a dualité entre le sujet qui médite et l’objet de méditation.
- Dhyana, la méditation.
Dans le processus de Dhyana, le flux de la conscience est ininterrompue.
La dualité existe toujours entre le sujet et l’objet.
- Samadhi, l’illumination.
A ce stade là, il y a disparition de la dualité ; le " je " devient " l’objet " à connaître.
Kaivalya pada, le dernier chapitre, va traiter des subtilités des différents types de samadhis ou réalisations spirituelles, difficilement accessibles sans la maîtrise des concepts et pratiques que nous venons de voir. Avant d’arriver à cela, le nombre de techniques ou stratégies représente un chemin passionnant et parfois difficile. De nombreux champs de connaissances intuitives seront obtenus par de nombreux types de méditations, allant des méditations simples aux plus complexes.
Les exercices de méditations portant sur les Tattwas et Tanmatras que nous venons de pratiquer ce soir, appartiennent à ces types de dhyanas qui permettent de développer les siddhis ou pouvoirs. Souvenez-vous que nous les avions abordés dans la conférence Méditations et pouvoirs.
A titre de rappel, en voici quelques exemples, tels que :
1) ANIMA : rendre son corps petit comme un atome.
2) LAGHIMA : rendre le corps léger.
3) MAHIMA : rendre le corps immense.
4) GARIMA : rendre le corps immensément lourd.
5) PRAPTI : développer la capacité d’aller partout.
6) PRAKAMYA : réalisation des désirs sans obstacles.
7) VASHITWA : avoir le contrôle sur tous les objets organiques et inorganiques.
8) ISHITVA : capacité de détruire à volonté.
A ceux-ci, s’ajoutent la réalisation de la perfection corporelle et la parfaite santé.
Ce ne sont là que quelques exemples. Il y en a encore beaucoup à expérimenter. Il est cependant évident, que ces pouvoirs ne peuvent être développés que par des yogis avancés. La pratique toutefois régulière développera chez vous des facultés quantifiables et vous permettra de faire des expériences énergétiques subtiles et surprenantes qui sont les prémices de ces dites facultés.
C’est d’ailleurs ce à quoi nous nous attelons depuis de longues années.
Le chercheur spirituel est donc celui qui va apprendre à discerner ce qui est réel de ce qui est irréel - de ce qui est permanent derrière l’impermanent - de ce qui localisé derrière ce qui est non-localisé.
Cette vision duale que nous avons du monde nous sépare de notre nature essentielle. Pour l’éveillé, la perception du monde est claire et sans confusion.
Il n’est plus sujet aux identifications à l’éphémère. Il est uni et de pure conscience. Il n’y a plus de séparation entre le spectateur et le spectacle. Il est établi dans Viveka.
Hari Om Tat Sat
Jaya Yogacharya
bibliographie :
"Patanjali et le Yoga" de Mircéa Eliade
"Propos sur la liberté de S.S.Saraswati
"Méditation et Mantras" de S.Vishnu Devananda
"Miroir " les yogas sutras de B. Bouanchaud