Les Yoga sūtra योग सूत्र de Patañjali पतञ्जलि - Sādhana pāda साधन पाद - 2e chapitre - A
Sādhana pāda - Chapitre 2
1ère partie
– Tapaḥ-svādhyāya-Īśvarapraṇidhānāni kriyā-yogaḥ
तपःस्वाध्यायेश्वरप्रणिधानानि क्रियायोगः
(aphorisme 1 chap. 2)
"Le yoga de l’action se pratique selon trois modalités inséparables : un effort soutenu, la conscience intérieure de soi et l’abandon au divin"
La Sādhana est la pratique spirituelle. C’est la mise en œuvre au moyen de techniques physiques et mentales, du processus de transformation afin d’atteindre les plus hauts stades de la supra-conscience que sont les différents degrés du Samādhi समाधि.
Dans le premier chapitre Samādhi pāda समाधि पाद, Patañjali présente les différents degrés et le but à atteindre. Dans le second chapitre, il aborde les moyens pour y arriver. Il rappelle également le fondement même de la démarche yoguique qui est la recherche de l’atténuation de la souffrance.
Après avoir identifier les célèbres Vṛtti वृत्ति ou vagues de pensées du mental, il aborde ensuite les afflictions du champ émotionnel que sont les cinq Kleśa क्लेश.
Les Cinq Kleśa
– Avidyāsmitārāgadveṣābhiniveśāḥ pañca kleśāḥ
अविद्यास्मितारागद्वेषाभिनिवेशाः पञ्च क्लेशाः
(aphorisme 3 chap. 2)
Les Kleśa | Les 5 Afflictions |
---|---|
Avidyā अविद्या | l’ignorance de la réalité telle qu’elle est |
Asmitā अस्मिता | le sentiment du JE |
Rāga राग | le désir |
Dveṣa द्वेष | le rejet |
Abhiniveśa अभिनिवेशाः | l’attachement à la vie ou la peur de la mort |
– Avidyā est l’état d’ignorance qui doit être transcendé pour qui veut connaître le réel, tel que le définit le Vedānta वेदांत.
- Avidyā est ce qui empêche de connaître la réalité du monde " telle qu’elle est " et qui fait que nous la voyons " telle que nous voulons qu’elle soit ". C’est elle qui nous entraîne dans les identifications erronées.
voir Vṛtti.
La manifestation des Kleśa se situe au niveau de la douleur mais aussi au niveau de la conduite de l’homme. Elle est la source des autres Kleśa.
Pour le Vedanta, l’ignorance de la réalité par l’homme est son incapacité à percevoir ce qui est permanent et immuable. Son identification aux phénomènes éphémères de l’existence le maintient dans cet obscurcissement de sa véritable nature. Une célèbre analogie védantique illustre bien ce concept de l’aveuglement de l’homme.
« Un homme marche au crépuscule dans une rue éclairée par quelques réverbères. Ayant l’impression de percevoir une forme sur le sol, il est pris de panique à l’idée que cette forme puisse être un serpent. Pris de peur, une appréhension le gagne, une transpiration froide descend le long de son dos, il serre les poings, sa gorge s’assèche. Sa vision du serpent l’envahie. Mais en s’approchant prés de la lumière, il prend conscience soudainement que ce serpent n’est en fait qu’une corde sur le sol. C’est " l’illumination" induite par la connaissance directe de ce qui est réel.
Les sens de cette personne n’étant plus dans l’erreur, son esprit identifie enfin l’objet réel. C’est la connaissance. C’est le Darshan (darśana) दर्शन, la vision juste.
Son corps a cependant transpiré, son cœur s’est accéléré, sa peur a pris racine. Son mental et son émotionnel ont été mis à l’épreuve.
Avidyā est cette ignorance que nous avons très souvent dans la vie. C’est l’expérience erronée. » voir les analogies Védantiques.
– Asmitā
- Le deuxième Kleśa est le sentiment de l’égo, le « Je » par lequel nous nous positionnons dans nos expériences au monde. C’est notre être localisé par rapport à la conscience indifférenciée.
C’est cette conscience individuelle qui nous sépare de l’absolu. C’est elle qui nous fait croire que nous agissons de notre propre volonté, qui nous fait devenir l’observateur de nos expériences. Quand il y a dualité, il y a subjectivité. Quand il y a fusion, il y a connaissance.
– Rāga et Dveṣa
- Le désir et le rejet sont les deux grands Kleśa qui animent en permanence nos comportements. Ces modes de fonctionnement sont très ancrés en nous, dès la petite enfance.
Nous ne sommes jamais contents de ce que nous avons et nous en voulons toujours plus. Ce sentiment est lié à un manque, une sensation d’inachèvement. C’est une insatisfaction permanente.
Quant au rejet, c’est le refus de s’abandonner, c’est le refus de lâcher-prise dans l’instant présent, c’est le refus de s’ouvrir à ce qui vient. Ce refus d’intégrer la différence est un immobilisme afin de nous protéger d’une souffrance potentielle.
– Abhiniveśa
- C’est la conscience de soi-même qui bien souvent nous rend égoïste et non attentionné aux autres. C’est l’instinct de survie qui même dans un mode de vie social sans danger, fait que nous faisons toujours passer nos intérêts en premier. Cela va bien souvent jusqu’à l’indécence.
Cet instinct de conservation est imprégné de peur, d’insécurité, et cette appréhension de la mort est bien enracinée dans nombreuses de nos réactions. C’est la toile de fond de notre détresse existentielle.
Quant à l’attachement au corps, il disparaît chez ceux qui ont atteint Viveka विवेक, le discernement.
Les Vṛtti et Kleśa sont donc étroitement liés et se manifestent dans le champ de la substance mentale, Manas मनस्. Elles induisent ainsi les expériences de la souffrance à des niveaux d’intensité différents.
Toute la problématique posée par Patañjali est :
Comment éviter ou diminuer la souffrance venant des Kleśa ?
Sa réponse immédiate est :
– Dhyānaheyāstadvṛttayaḥ
ध्यानहेयास्तद्वृत्तयः
(aphorisme 11 chap. 2)
- Les perturbations mentales (Vṛtti) qu’entraînent les afflictions ( Kleśa) peuvent être éliminées par la Méditation Dhyāna Dhyāna ध्यान.
Pour la tradition Indienne, la souffrance vient d’Avidyā, la non-connaissance de la réalité.
Non seulement l’homme est sujet à l’illusion du monde phénoménal mais il entretien d’autant plus ses souffrances par le processus inéluctable du karma कर्म. Dans cette loi de cause à effet, les mécanismes de la souffrance prennent leurs racines dans chacun des actes de chaque existence.
Ce fardeau karmique s’alourdit de plus par le jeu des trois Guna गुण voir guna auquel l’individu est soumis dans cet univers manifesté.
– Pour le Sage, ici-bas, tout est douleur car tout est soumis au changement et à l’impermanence. Seule la pratique spirituelle donne le discernement et les moyens pour éviter les « douleurs à venir ».
La pratique du Yoga est donc de mettre fin à cet engrenage des bonheurs et des souffrances de l’ existence.
Viveka le discernement spirituel
– Tadartha eva dṛśyasyātmā
तदर्थ एव दृश्यस्यात्मा
(aphorisme 21 chap. 2)
- La raison d’être de ce qui est vu est seulement d’être vu.
Dans le processus d’Avidyā (l’ignorance), l’être individuel est pris au piège de ses identifications avec les agents "limitants" de sa perception, voir tableau des Upādhi उपाधि.
Sa perception ou sa connaissance directe du Soi absolu et sans qualités ne peut relever que du darśana, la vision éclairée de cet essentiel. Le monde des manifestations où jouent les trois Guna n’est donc que le reflet manifesté de cet absolu non manifesté.
C’est le Brahman ब्रह्मन् du Vedanta (système non dualiste), mais c’est aussi le Puruṣa पुरुष l’esprit par rapport à la Prakṛti प्रकृति, la matière manifestée du Sāṃkhya सांख्य (système dualiste).
Le chercheur spirituel est donc celui qui va apprendre à discerner ce qui est réel de ce qui est irréel, ce qui est permanent derrière l’impermanence, ce qui est localisé par rapport à ce qui est non-localisé.
Cette vision duale que nous avons du monde nous sépare de notre nature essentielle.
Pour l’éveillé, la perception du monde est claire et sans confusion. Il n’est plus sujet à ces identifications à l’éphémère. Il est unit et de pure conscience.
Il n’y a plus de séparation entre le spectateur et le spectacle.
Il est établit dans Viveka
– Vivekakhyātiraviplavā hānopāyaḥ
विवेकख्यातिरविप्लवा हानोपायः
(aphorisme 26 chap. 2)
- Le discernement pratiqué de façon ininterrompue est le moyen de mettre fin à l’inconnaissance du réel
Commentaire et adaptation
Jaya Yogācārya