Après cette séparation de quelques semaines de vacances, nous reprenons ensemble le chemin de l’étude et de l’introspection.
Cette rentrée s’accompagne souvent pour beaucoup d’entre-nous de réajustements physiques et mentaux avec la résolution d’avancer, de s’élever sur le chemin de l’existence.
Si les vacances ont permis de faire le plein d’énergie et de liberté loin des obligations quotidiennes, il y a nécessité pour chacun de nous, de reprendre la voie de la réalisation personnelle par différents moyens, par le travail pour beaucoup, et pour les aspirants yogis, par la pratique.
Augmenter nos compréhensions, approfondir nos connaissances, optimiser nos facultés dormantes, corriger nos mécanismes défaillants, panser et comprendre nos blessures, apprendre de nos leçons passées, mettre en pratique, permet de façonner à chaque instant, l’être plus éclairé vers lequel nous tendons. Nous aidons ainsi la vie, dans le dessein qu’elle nous réserve, à aller dans ce sens.
La pratique spirituelle ne consiste pas à tomber dans un état extatique, faire abstraction de notre réalité et arborer un air inspiré pensant que Dieu va régler tous nos problèmes.
Le véritable chercheur céleste évolue vers l’humilité lorsque le chemin s’élargit sous ses pas, mais il lui faut déblayer chaque grain de poussière où l’ignorance et l’inertie se cristallisent.
Cette rentrée peut parfois s’apparenter pour certains, au retour d’un stress quotidien. Il peut être créé par la nécessité de faire beaucoup d’efforts pour gagner sa vie, et pour ceux qui ne sont plus dans la vie active, de n’avoir rien à planifier et de devoir y parer.
Je ne cite bien sûr pas les autres grandes sources de stress que la vie nous réserve, maladies, accidents, et problèmes en tous genres.
Nous allons donc revenir à cette notion de stress plutôt cognitif que vital très présent chez l’homme contemporain.
Des longues conférences écoutées aux pieds de Svāmi Viṣṇu Devānandā स्वामि विष्णुदेवानन्दा dans les Laurentides au Canada, lorsque nous étions des novices en yoga, me revient une simple observation faite par lui, alors qu’il nous tenait jusqu’à des heures tardives, malgré la pratique de l’aube.
« Pourquoi, disait-il, vous inquiéter et stresser devant un courrier administratif embêtant ? »
Lorsque vous le recevez, évitez d’entrer de suite dans un stress, une galère mentale. Ce n’est pas votre réalité du moment. Vous prendrez le temps, à tête froide, de résoudre calmement ce problème.
Cela ne signifiant pas bien sûr de procrastiner sur le problème en question.
C’est juste une invitation à ne pas s’identifier à ce courrier et ne pas lui permettre de faire en vous la pluie ou le beau temps.
Stress négatif pour certains, positifs pour d’autres, le stress diminue considérablement notre capacité à raisonner clairement et à trouver la bonne action pour régler le problème. De plus, il créé en nous des émotions intenses qui peuvent être douloureuses physiquement ou mentalement.
Souvenez-vous de la dernière conférence ;
« Tout stress ou tout événement nécessite toujours, à intensité moindre, des réactions de fuite, de lutte ou d’inhibition.
Quel que soit le ressenti de cette contrariété, elle déclenche des alertes biologiques et des réactions plus ou moins instinctives. »
Si vous stressez pour une feuille d’impôts qui vient de tomber, cela signifie que le stress contemporain est en grande partie généré par l’incohérence du mental ou de l’intellect à disproportionner ou mal ordonnancer ses valeurs de références.
Le stress est en nous.
Lorsqu’il a lieu, nous recevons en nous un signal d’alerte sur notre incohérence du moment, incohérence car incapacité d’objectivité immédiate et de relativité, d’analyse de la situation.
Qui donne l’alerte en nous au cerveau reptilien pour fuir, lutter ou inhiber ?
Le cortex préfrontal , que le yoga connaît bien depuis des milliers d’années par les pratiques destinées à activer Ājñā cakra आज्ञा चक्र.
Ces pratiques consistent à activer les facultés de visualisation, développer les capacités de concentration poussée, accumuler le Prāṇa प्राण dans ces zones, agir sur les glandes maîtresses du système hypothalamique et provoquer des états modifiés de la conscience sans adjuvants ni psychotropes, par les processus naturels. L’objectif : développer une supra-conscience permettant de faire l’expérience objective du monde et de l’essentiel en ayant la révélation de l’ampleur de cet absolu.
Autrement dit, avoir accès à l’inconnu.
Lorsque, par les pratiques yoguiques et particulièrement celles du Kriyā क्रिया et de la méditation, vous stimulez ces zones intensément, alors vous facilitez l’accès au préfrontal et pouvez ainsi développer en vous, une plus grande intelligence.
Son intelligence ! Elle est particulière et ne recouvre pas toute l’intelligence bien sûr .
La conscience n’étant pas toutefois en lui, la communication entre les deux est boycottée par le « déjà connu » chez la plupart des personnes .
Autrement dit, avoir conscience de cette porte pré-frontale, y être relié, savoir en capter les signaux ou messages, facilite les prises de décisions, développe l’intuition juste.
Le défi majeur, pour bénéficier de cette intelligence ayant accès à l’inconnu et à la complexité de la réalité, est de mettre en œuvre l’ouverture et la communication entre le préfrontal et la conscience dans la vie ordinaire.
En yoga, nous nous entrainons à cela depuis des années et la communication est grandement facilitée entre notre conscience et notre préfrontal, par l’alignement entre notre cœur et notre esprit, notre intention d’âme et notre œil de la clairvoyance.
Les aptitudes développées permettent de savoir réduire le stress intérieur en état d’urgence ou de sursollicitation .
Mais pas uniquement !
Vous avez déjà pu constater par le passé, notre capacité à pouvoir gérer des grands stages ou des grandes Pūjā पूजा avec de nombreux participants et sur plusieurs jours. Cela nécessitait pour nous d’être connectées dès le départ aux plans subtils et spirituels, préparées par des jours de carême et de pratiques. Mais durant ces festivités, il nous fallait savoir développer la créativité, l’adaptabilité à l’imprévu .
Nous étions tous performants, trouvant parfois le calme dans la complexité des tâches, souvent multitâches, sachant anticiper, développant l’intuition , réunissant le raisonnement et le cœur, percevant le détail et l’essentiel, ayant l’efficacité pour réveiller les forces subtiles.
Nous avons souvent soulevé des montagnes avec vous.
Des instants magiques de puissance où l’énergie de chacun grimpait d’heure en heure et où nous révélions les capacités insoupçonnées en nous.
Combien d’anciens ici ont vécu cela à nos côtés, et ont pu avoir ces mêmes révélations. Pour certains, vous avez gardé en vous cette même volonté d’action inébranlable dans les actes quotidiens.
L’exemple du courage fait des petits.
Nous comptons bien sûr renouveler ce genre d’expérience intense avec vous et nous le ferons grâce au pouvoir du yoga qui active les plans supérieurs et divins, joue avec les forces cosmiques, celles de la nature, augmente la conscience, le Prāṇa et éveille les zones dormantes du cerveau.
Pour revenir au stress, que fait donc notre cortex préfrontal dans ce cas-là ?
Il émettrait, selon Jacques Fradin, un message d’alerte inconscient face à l’incohérence.
– « Soit notre conscience entend et comprend ce message et nous comprenons pourquoi nous stressons. Nous pouvons donc agir sur notre stress. » D’où l’intérêt de développer la connexion entre la conscience et le préfrontal par l’état d’observateur et l’activation du Prāṇa प्राण.
– Soit plus ordinairement, la conscience ne décode pas ou mal le message et le renvoie au poulailler. D’où parfois des contradictions ou des oppositions dans les choix faits.
Nous rejoignons-là encore la nécessité de s’aligner, d’aligner le cœur, l’esprit et l’intention au lieu de subir nos doutes et le flou mental.
« Si la conscience n’entend pas le message du préfrontal, alors c’est le cerveau reptilien qui prend le relais et prend les commandes, non pas pour traduire en termes intelligents le message du préfrontal qu’il a reçu, car il en est incapable, mais traduire avec ses propres mécanismes de fuite, lutte ou inhibition accompagnés des réactions physiologiques qui vont avec. » nous dit le neuroscientifique.
D’où, bien souvent, des comportements primitifs et violents en situation de conflit social.
Vous pouvez être un intellectuel qui perd conscience et voit rouge…
Notre programmation profonde est encore reptilienne .
La pratique spirituelle, en œuvrant à notre développement de la conscience, participe à nous dégager de l’emprise des comportements primaires.
Elle nous aide à rayonner dans des sphères plus élaborées de l’expression humaine.
Faisons à présent un peu d’anatomie .
Nous allons revoir ici un peu ce que nous étudions en kriyā avancé.
La morphogénèse est le développement des formes, des structures d’une espèce vivante. Lorsqu’on observe le cerveau humain, il garde aujourd’hui les étapes de son évolution durant des centaines de milliers d’années et nous pourrions comparer celui de l’homo sapiens, dit l’homme moderne, à une fusée à étages.
La classification de ces étages la plus simple est celle qui fait référence à trois
niveaux de développement :
le cerveau reptilien, le cerveau limbique et le néocortex .
– Le cerveau reptilien est le siège des comportements stéréotypés primaires et instinctifs (réflexes, instinct de survie, de conservation, etc.).
– Le système limbique est le cerveau émotionnel .
C’est une interface anatomique et fonctionnelle entre la vie cognitive et la vie végétative.
« Limbe signifie « frontière ».
On considère généralement que les principales composantes du système limbique sont des structures du cortex cérébral et subcorticales (sous le cortex) suivantes : l’ hippocampe, l’amygdale, l’hypothalamus, le gyrus cingulaire (lieu de circonvolution du cortex), le fornix (l’arche qui relie les deux hémisphères).
Ce cerveau-là joue un rôle très important dans le comportement (prise de décision, motivation).
Il influence l’intensité des émotions (agressivité, douleur morale, peur, plaisir).
Il est hautement spécialisé dans la mémorisation.
– Le néocortex est une zone du cerveau des mammifères qui correspond à la couche externe des hémisphères cérébraux. Il fait partie du cortex cérébral (ce dernier comprenant aussi des parties du système limbique)
Le néocortex est une évolution récente du cerveau et s’est développé après et sur les autres couches du cortex.
C’est le cerveau dit cognitif .
Il est le siège du raisonnement et de l‘intelligence, des activités cognitives les plus sophistiquées. Il analyse toutes ces informations, les traite avec logique et soumet ses recommandations aux deux autres cerveaux.
Parfois, le néocortex est associé à la conscience .
Il est assurément lié à l’intelligence .
Devons-nous alors être conscient pour être intelligent et être intelligent pour être conscient ?
La frontière est parfois floue.
L’intelligence de l’homme s’accroît souvent à mesure que sa conscience s’ouvre.
Le siège de la conscience reste encore malgré tout à redéfinir et les neurosciences actuelles ne devraient pas oublier de prendre en considération les approches yoguiques millénaires, les pratiques spirituelles, voire les processus de l’intuition chez les visionnaires ou novateurs ( artistes, religieux, philosophes ou scientifiques).
Dans le domaine spirituel, existe la notion de supraconscience .
Pour les yogis, elle ne se limite pas à l’activité cérébrale humaine.
Elle la transcende par la mise à contribution de tous les autres plans humains, corps, cœur, âme, esprit et surtout par l’activation d’une énergie spécifique.
Conscience et Énergie sont in-dissociées et plus il y a de l’une, plus il y a de l’autre .
Les connexions neuronales en général obéissent à l’activation d’un influx nerveux, de nature bioélectrique. On parle donc bien d’énergie mesurable.
Certes, l’ énergie supérieure du yoga appelée Kuṇḍalinī कुण्डलिनी, vise le système nerveux et concerne bien la moelle épinière et la complexité neuronale du cerveau.
Sa nature s’apparente à un feu, pouvant être dévastateur si non contrôlé.
Toutefois, ce qui résulte d’un éveil de Kuṇḍalinī est l’accès à une connaissance ou un principe supra-conscient qui est bien plus que la somme des parties organiques utilisées.
C’est le même principe que celui de l’intelligence et celui de la conscience .
D’un point de vue métaphysique, pour le Vedānta वेदान्त, la conscience humaine individuelle est constituée de deux aspects ;
– un aspect subjectif limité relatif à l’histoire personnelle, recouverte par cette dualité temporelle de la manifestation assujettie à la vie et à la mort. Elle est donc limitée par l’illusion du monde, la méconnaissance du réel et ses fausses identifications au périssable.
– le deuxième aspect est la conscience plus profonde et élargie de nature objective faite à l’image de la conscience universelle. Le yoga œuvre à développer cette supra-conscience en nous afin de saisir le pourquoi de cette manifestation. Il y accède par les états modifiés de la conscience, c’est à dire à son expansion assimilée à l’expérience de l’éveil spirituel.
Malgré les découvertes récentes illustrées par les cartographies du fonctionnement du cerveau, les chercheurs sont toujours incapables de définir à ce jour comment l’intelligence émerge.
N’en parlons pas alors en ce qui concerne la conscience !
« Un neurone seul ne peut ni lire ni écrire mais un réseau de neurones est apte à construire des cathédrales ou vous faire voyager dans l’espace.
La manière par laquelle un cerveau constitué de cellules simples créé de l’intelligence reste encore aujourd’hui un grand mystère », nous dit Jeff Hawkins , neuro-scientifique confirmé.
Il reconnait lui-même, malgré les prodigieuses découvertes sur le fonctionnement du cerveau, que « les nombreuses pièces du puzzle lui donnent parfois le sentiment de s’éloigner de la compréhension du cerveau au lieu de s’en approcher ».
Devant l’ampleur de la tâche à accomplir, les neurosciences, malgré leurs avancées depuis plus d’un demi-siècle d’approches, ne sont encore qu’au début de cette grande aventure et J.Hawkins s’inscrit avec l’humilité nécessaire, dans la lignée des pionniers.
Il éprouve probablement aussi ce sentiment par la problématique déjà soulevée de la différence existante entre la conscience et l’intelligence.
On ne peut faire de recherches méthodologiques du cerveau sans tenir compte de la capacité pseudo infinie de ses créations.
C’est un peu comme si on voulait étudier le cerveau de Dieu ou de dame Nature.
Quel vertige !
Si les recherches actuelles ouvrent immanquablement la voie aux machines intelligentes via l’IA, qu’en sera t-il de la conscience de ces machines ?
Auront-elles besoin de méditer ?
La conscience de nous-même dans cet univers et la nécessité de donner un sens à notre manifestation ne sera probablement pas leur problématique.
Auront-elles peur d’être débranchées ?
Cela peut nous faire penser à ce moment d’anthologie du film culte de Stanley Kubrick sortit en 1968, « 2001 ou l’Odyssée de l’espace » où l’ordinateur HAL ( traduit par CARL en français), ordinateur fait d’ IA, devenu trop intelligent et trop directif, est désactivé et chante en mode dégradé progressif.
Il apparaît être le meilleur film de science fiction et sans effets spéciaux qu’on ait pu faire et qui soulève de nombreux thèmes, notamment ceux de l’évolution humaine, de la technologie et l’intelligence artificielle, et de la perspective d’une vie extraterrestre.
Cinquante-cinq ans se sont déjà écoulés depuis.
Un si bref instant, lumineux, sur terre, quelque part, au regard de l’immensité de notre univers.
Nous étions-là, conscients, pour l’apprécier.
Nous avons encore tant à comprendre…
Hari om tat sat
Jaya Yogācāryaḥ
Bibliographie :
– « 1000 cerveaux » de Jeff Hawkins aux éditions Quanto
– « L’intelligence du stress » de Jacques Fradin aux Editions Eyrolles
– adaptation et commentaire de Jaya yogacarya
©Centre Jaya de Yoga Vedanta La Réunion & Métropole
Remerciements à C.Pellorce pour les corrections