Śiva, 2e partie
C’est toujours un plaisir de retrouver ses fidèles amis spirituels.
Nous pouvons être à peu près sûr que leur cœur est en phase avec le nôtre sur ce chemin de la bienveillance et de la quête.
Nous allons donc reprendre les enseignements qui nous font avancer d’un pas confiant et plus éclairé sur la voie incertaine de l’existence.
La pratique spirituelle yoguique nous remplit, par la vitalité physique qu’elle nous apporte bien sûr mais aussi par celle mentale qui met notre esprit en éveil. Cela nous permet d’aborder des questions fondamentales dans un dialogue avec l’absolu, par l’intermédiaire de notre âme.
Coeur, esprit, âme doivent être au rendez-vous dans les enseignements.
L’intention d’écoute, de comprendre et de recevoir dans un état de confiance en sont les moyens.
C’est une chance pour une personne de pouvoir réaliser cela.
Tant d’individus ont soit l’un, soit l’autre, ou des causes multiples susceptibles d’empêcher cette bonne alchimie ;
– esprits brillants mais au cœur fermé, perdus dans l’existence,
– individualités égotiques enchâssées dans leurs certitudes,
– gentils dépourvus de capacité d’analyse,
– matérialistes, étrangers aux préoccupations métaphysiques,
– méfiants englués se privant des outils aptes à les libérer, etc.
Ce qui fait défaut chez un grand nombre est l’absence de quête.
Celle qui permet, au-delà de la logique et de la raison, de vivre sans trop de problèmes - du moins pour les privilégiés que nous sommes – une ouverture sur le monde et sa beauté, sa profondeur et ses mystères en les considérant comme nôtres.
Nous sommes ici pour les connaître, les comprendre ou du moins les recevoir.
L’ enseignement yoguique se sert donc de différents supports pour faire des éclairages sur cet absolu conscient et ses manifestations infinies.
Soit il le fait par des réflexions philosophiques, métaphysiques, soit par des approches symboliques, soit par des approches pratiques et pragmatiques.
Le fondement de cette étude porte sur le rapport de l’énergie du monde manifesté avec la conscience.
Préoccupation millénaire des sages et d’actualité chez certains scientifiques actuels. Récemment, dans un podcast suggéré par Jean-Yves B, une astro-biologiste, Nathalie Chabrol, lors d’une interview, présentait, à pas de velours, (on y voit bien le sujet tabou dans la communauté scientifique) la nécessité d’appréhender l’étude de l’univers, certes avec la rigueur de l’analyse scientifique, mais accompagnée du regard de l’intériorité spirituelle pour répondre ou comprendre autrement, aux questions restées sans réponses. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/qui-sommes-nous-6643693
Revenons à l’ enseignement et à l’approche du grand principe de la supra-conscience illustré symboliquement dans la tradition yoguique par le dieu Śiva et que nous avons commencé à présenter dans la conférence le Proto Śiva. voir conférence.
La cosmogonie hindoue repose sur un ensemble de textes anciens composés en sanskrit qui ont trait à la mythologie et à la mesure du temps.
L’origine des dieux dans la sphère des hommes a pour fonction première d’expliquer la création du monde. Dotés de pouvoirs surhumains mais aussi de caractéristiques humaines, les divinités vont déployer tous les possibles de la manifestation et les nombreux récits narratifs ont en toile de fond, derrière la naïveté parfois apparente des histoires, la préoccupation majeure et métaphysique de l’éternel rapport entre l’énergie et la conscience qui animent l’univers d’une part et « le pourquoi du désir de l’absolu non manifesté » à vouloir se manifester.
Cependant les textes sacrés ne se limitent pas à des récits de divinités. Les grands textes tels les Veda वेद, vont être des traités précis pour les rites, la cantilation des odes et des mantra मन्त्र, les observances ou règles morales et comportementales dédiées aux humains.
Dans l’histoire des courants religieux de l’Inde, ce passage du narratif naïf à une métaphysique pointue va pouvoir s’observer au fil des siècles.
– Vers -3000 av JC, la tradition étant orale, c’est l’époque des yogis primitifs, des chamanes et le culte de la déesse mère, lointaines prémices du tantrisme et des cultes de la Śākti शक्ति.
– Avec l’arrivée des Aryens en Inde (venant du nord par l’Iran), la Civilisation Védique se construit et les premiers hymnes du Ṛgveda ऋग्वेद apparaissent.
C’est l’époque des ascètes, des cultes védiques, des grands sacrifices et des prêtres.
– Lorsque le Brahmanisme émerge vers -800 av JC, les textes de la vision,
les Veda, les textes révélés ( Śruti,श्रुति ) se sont développés. Ce sont les textes les plus anciens formés de quatre recueils ( Saṃhitā संहिता ) : le Rgveda (Veda des strophes), le Yajur Veda यजुर्वेद (Veda des formules), le Sāmaveda सामवेद (Veda des mélodies) et l’Atharvaveda अथर्ववेद (Veda à caractère magique). Ces quatre Veda sont articulés autour des Brāhmaṇa ब्राह्मण interprétations sur le Brahman ब्रह्मन्, les Āranyaka (traités à réciter loin des agglomérations) et les Upaniṣad उपनिषद् enfin (approches à caractère spéculatif, à savoir des réflexions intellectuelles qui ont pour objet la connaissance pure et qui sont des condensés philosophiques des textes précédents).
Vers -800 donc av JC, c’est l’époque d’une plus grande intériorisation de la religion. S’observe aussi une plus grande personnalisation du savoir spirituel par l’apparition de sectes dissidentes. Upaniṣad à l’appui, apparaissent les sophistes, orateurs et professeurs à l’éloquence philosophique.
C’est la période de contestation du pouvoir des prêtres et des rituels védiques.
Parallèlement émerge la doctrine du Sāṃkhya सांख्य avec Kapila ṛṣi कपिल ऋषि.
– C’est vers -200 av JC, dans ce contexte que naissent les prémices de l’hindouisme et du bouddhisme primitif (Theravāda थेरवाद) avec les grandes épopées littéraires du Mahābhārata महाभारत et du Rāmāyaṇa रामायण.
L’éternel débat entre les deux courants situerait d’un point de vue hindou bien sûr, le bouddhisme postérieur au Sāṃkhya et issu de lui vers -500 av JC. Les deux courants se sont finalement opposés et aussi beaucoup influencés durant des siècles.
– vers 200 ap JC, c’est la période des formes plus élaborées de l’hindouisme classique et du bouddhisme Mahāyāna महायान (le grand Véhicule). C’est le début des grands darśana दर्शन, les grands points de vue philosophiques, tels les Yogasūtra योगसूत्र, le Purva Mīmāṃsā (forme de pré-vedanta) à l’époque.
Parallèlement s’impose le bouddhisme Mahāyāna.
C’est aussi le début de l’influence tantrique, issue des milieux d’ascètes et de Yogis.
– vers 400 ap Jc, Hindouisme et Bouddhisme s’imposent. Le samkhya, déjà ancien, est le darshana classique référent pour l’hindouisme.
C’est l’âge de l’école Cittamātra चित्तमात्र du bouddhisme Mahāyāna (âge d’or de la culture indienne lorsque la dynastie Gupta était au pouvoir dans la majeure partie du sous-continent indien, âge d’or dans de nombreux domaines, en particulier la littérature, la sculpture et la peinture comme en témoignent les grottes d’Ajantâ. (Souvenez-vous les anciens, nous les avons visitées ensemble en 1997.)
– vers 800 ap JC, c’est la fin du bouddhisme en Inde et le triomphe de l’orthodoxie hindoue. Ce sera ensuite l’apparition des sectes philosophiques Shivaïtes et Vishnouïtes.
L’advaïta Vedanta, le pur vedanta, darśana non dualiste devient référent.
Śaṃkarācārya शंकराचार्य, le grand docteur védantin, sera le créateur du principal ordre monastique et le Jñāna yoga ज्ञा, le yoga de l’érudition philosophique se développera.
Apparaîtra ensuite l’école des Nātha नाथ. Les Nātha ou encore les nāth ou nāthayogin (« maître de », « dominer », « seigneur ») sont liés à un ordre religieux et philosophique en relation avec le Shivaïsme, fondé par Matsyendranātha मत्स्येन्द्रनाथ et dont l’un des plus illustres représentants fut Gorakhanātha गोरखनाथ qui vécut vers le XIIe siècle. Les nātha font aussi partie de la tradition du yoga tantrique qui se base sur la seule transmission de maître à disciple de pratiques courantes ou plus secrètes. Parallèlement, l’ordre des Śakta शक्त à l’origine de la tradition Hatha-yoguique et oeuvrant déjà depuis plusieurs siècles se constituent en confrérie.
Et c’est là que nous pouvons observer comment le culte de Śiva appartenant à l’orthodoxie hindoue et dont les racines anciennes sont issues du brahmanisme et du védisme avant lui, va prendre sa place de choix dans le tantrisme. Tantrisme secret et subversif ancien, dont le culte majeur à l’origine est celui de la mère divine, la Śakti, toujours d’actualité alors.
C’est enfin autour de l’an mille 1000 ap JC que l’école Trika त्रिक (Shivaïsme du Cachemire) va s’affirmer avec les textes ultérieurs qu’on lui connaît. Abhinavagupta fut le penseur le plus éminent de la religion shivaïte, dans l’école Trika. Ses ouvrages mystiques et philosophiques constituent la synthèse de ce shivaïsme-là. Tous les shivaïtes, se réclament des Āgama आगम ou Tantra तन्त्र qui sont les textes orthodoxes du shivaïsme dans l’ Inde entière.
Nous ne pouvons pas citer, dans ce bref historique des mouvements religieux, philosophiques et des textes sacrés, la Haṭha Yoga Pradīpikā हठयोगप्रदीपिका.
La « Petite lampe du Haṭhayoga » , un des textes classiques du yoga est attribué à Svātmārāmā स्वात्मारामा, un disciple du Siddha Gorakhanātha.
Ce traité sera écrit au XVe siècle et sera fondé sur des textes beaucoup plus anciens.
Bien sûr, nous ne pouvons omettre de citer les Purāṇa पुराण qui vont nous intéresser à plus d’un titre.
Un purāṇa est un texte appartenant à un vaste genre de la littérature indienne, traitant d’une grande gamme de sujets. Composés entre 400 et 1 000 ap Jc, ces récits élaborés pour tous étaient préférentiellement destinés aux femmes qui n’avaient pas accès aux Veda.
Ils sont généralement écrits en sanskrit.
Les Purāṇa traitent à la fois des mythes religieux, des divinités hindoues, des légendes, des contes traditionnels et des histoires de rois, en y incluant des réflexions poussées sur la cosmogonie, la cosmologie, les généalogies, la médecine, l’astronomie, la théologie et la philosophie.
Les Purāṇa hindous sont issus de nombreux auteurs anonymes qui se sont succédés au cours des siècles. Ces textes sont considérés comme les textes de la smṛti स्मृति, ceux de la mémoire.
C’est dans ces textes là que nous trouverons de nombreuses légendes sur Viṣṇuविष्णु et sur Śiva शिव, tel le Kūrma Purāṇa कूर्म पुराण, le Vāmana Purāṇa वामन पुराण le liṅga Purāṇaलिङ्गवामन पुराण, le Śiva Purāṇa. Les légendes sont ussi abordées dans le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa.
« D’un point de vue iconographique, les origines de la conception du dieu Śiva, de sa mythologie, des doctrines et du rituel Śiva sont malgré tout mal connues. Le mot Śiva n’est pas employé comme un nom propre dans les hymnes védiques. Il y est un adjectif signifiant « propice ». C’est seulement avec les derniers textes de la littérature védique que Śiva apparaît comme figure divine, comme autre nom du grand dieu védique Rudra रुद्र. Il y a donc une indéniable continuité Rudra-Śiva.
Cependant, le Śiva de la période classique prédomine largement sur la figure védique. "Certains orthodoxes hindous ou certains Shivaïtes rejettant les origines védiques se sont opposés à des sectes Shivaïtes extrémistes et leurs rites rudimentaires, sanglants ou licencieux, admettant le sacrifice animal ou humain », nous dit Jean Filliozat
Dans la mythologie, Śiva est présenté, dans son action de non manifesté se manifestant, sous forme de 25 jeux, les 25 līlā लीला ou représentations associées aux rôles respectifs joués dans les légendes. Parfois, on peut en trouver plus.
Vous en connaissez déjà certains tels Ardhanārīśvara, le seigneur androgyne, Viṣāpaharaṇa विषापहरण, celui qui boit le poison issu du barattage de l’océan primordial, Naṭarāja नटराज, le danseur cosmique.
L’historiette que je vais vous présenter n’est pas un des 25 jeux à part entière de Śiva mais un aspect du danseur qu’il est en toutes occasions. Il prendra alors le nom de Nṛtyakopama, ou Tāṇḍavam.
Elle est tirée de "La mythologie hindoue " de V. Filliozat.
La voici :
"C’est l’histoire de Śiva avec la jambe hautement levée vers le ciel.
Relatée souvent en danse, elle aurait pour origine une dispute entre Śiva et son épouse divine Pārvatī पार्वती.
A la suite d’un jeu de dés, Pārvatī étant sur le point de gagner, Śiva, par ruse, se mit à tricher. Le dieu suprême ne pouvait être battu par son épouse. Pārvatī rétorqua son importance dans la création du monde en tant que Śākti. Les deux ne voulant rien concéder, s’ensuivit un concours de danse. Śiva voyant la dextérité de son épouse, se mit à lever une jambe très haut à la verticale vers le ciel. Par pudeur, Pārvatī resta timidement la tête baissée en reconnaissant la supériorité de son époux."
Le Salwar kameez, costume unisexe fait d’une chemise et d’un pantalon et porté en Asie du Sud n’était probablement pas de mode !
Śiva est malgré tout le yogi accompli. Les rôles masculin/féminin étant rigoureusement cadrés dans l’orthodoxie hindoue.
Depuis lors, cette danse est connue sous le nom de Tāṇḍava, « la danse vigoureuse » et celle de Pārvatī comme « la danse gracieuse ».
Malgré tout, nous trouverons dans d‘autres récits, un Śiva prenant forme féminine
et pouvant s’accoupler. En tant que principe omniprésent, il ne peut être réduit à sa dimension masculine.
Aujourd’hui, danseuses, acrobates et yoginis préféreront assurément la version d’Ardhanārīśvara de Śiva ou sans lui manquer de respect, mettrons un leggin à Pārvatī…
Hari Om tat sat
Jaya yogācāryaḥ
Bibliographie :
– "La mythologie hindoue -T2 : Siva " de Vasundhara Filliozat aux edts Agamat
– Sources article Advaïta de Jean Filliozat dans Encyclopædia Universalis
– (Sources Wikipédia)-
– Adaptation et commentaire Jaya yogācāryaḥ
©centre Jaya de Yoga Vedanta La Réunion & Métropole
Remerciements à C. Pellorce pour la correction.