Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du vendredi 30 avril 2021
Positionnement
Avant de reprendre ce soir l’enseignement que j’exerce maintenant depuis près de quarante ans, je répondrai aux invectives récentes et inappropriées d’une élève inexpérimentée et en crise d’égo en réitérant à vos yeux et surtout aux siens, le fait que rien ne me détournera de mon cheminement spirituel.
Quelles que soient vos opinions à mon égard, je continuerai cette pratique et cet enseignement en m’adressant à ceux qui m’ont montré leur courage dans l’adversité, qui ont été là quand il leur fallait l’être, à ceux qui reconnaissent la qualité et la valeur de cette pratique à mes côtés. C’est une pratique exigeante en effet qui nécessite des qualités morales de constance, de patience, d’écoute, de partage, de tolérance, de courage, de soif d’apprentissage, d’étude, de pratique régulière, de curiosité intellectuelle, de travail personnel, d’engagement, d’éducation spirituelle, de générosité, bref, des aptitudes précieuses nécessaires aux véritables chercheurs spirituels.
La majorité d’entre-vous a témoigné dans ce sens-là et sont chers à mon cœur.
Comme les enfants envers leurs parents et leurs enseignants, les élèves que vous êtes, récents ou plus anciens, avez des droits, les droits de contester si besoin avec bienveillance, le droit d’aller et venir car nos portes sont grandes ouvertes.
Mais vous avez aussi des devoirs !
Devoir de gratitude envers ceux qui vous aiment, vous ont aimé, vous ont aidé, protégé, éduqué, rassuré, soigné, montré le chemin quand vous en aviez besoin.
Devoir de positionnement pour défendre l’injustice.
Je n’attends pas de vous que vous jouiez les "faux Gandhi".
Je n’attends pas de vous que vous me portiez.
J’attends des Arjuna अर्जुन, des nobles archers, des Rāma राम, des hommes et femmes supérieurs, des Trimūrti त्रिमूर्ति (capables de créer, préserver, détruire pour le maintien du monde). J’attends des Śiva शिव, des pratiquants à la conscience éveillée, des Lalitā ललिता, des déesses ou des dieux capables de l’amour inconditionnel mais aptes à soumettre et à terrasser lorsque l’ordre divin, l’ordre du beau, du bon, du bien a été bafoué.
Quant à Gandhi et Buddha बुद्ध, ce serait naïf de ne pas les voir avant tout en hommes d’action dans leur guidance spirituelle, la non violence et la compassion étant souvent mal comprises et n’étant aucunement passives.
J’attends simplement des pratiquants à mon image, courageux, enthousiastes, respectueux et surtout loyaux, cette valeur étant en déperdition dans le monde d’aujourd’hui par l’hyperindividualisme.
Je suis bien placée pour soupeser le poids de ces mots par la vie sacerdotale vouée au bien-être des autres et qui fut et qui est la mienne.
Śrī Śrī Śrī Satchitananda yogi श्री सचचतननद, notre maître, nous a enseigné de son vivant, à Māheśvarī et moi-même Jaya, il y a trente ans lors de sa première venue à la Réunion au Centre Jaya, qu’il nous fallait apprendre deux choses importantes en tant que guides spirituels d’un grand centre de yoga et en tant que yoginis :
– savoir enlever à temps, la pomme pourrie dans le panier de pommes,
– comprendre que plus nous grandirons spirituellement et serons reconnues et respectées, plus nous soulèverons parfois des désaccords égotiques virulents.
Nous avions pris note.
Nous avons pourtant, pendant des années, parfois par trop de gentillesse, trop longtemps supporté, sans réagir suffisamment tôt, confondant compassion et faiblesse, surtout moi, Jaya !
Aujourd’hui, entre détachement total ou compassion si nécessaire et selon la situation, nous savons nous positionner.
Enseignement
Je reprends donc opiniâtrement ce soir et avec joie, le cheminement spirituel et invite ceux qui m’aiment à me suivre.
Je travaille avec vous depuis quelques mois sur le temps et les voyages potentiels dans le passé ou le futur que nous pourrions faire. Bien sûr, je ne me positionne pas dans le fantastique et l’imaginaire. Je pars d’une base plus concrète et essaye de développer avec vous l’aptitude à pouvoir appréhender des concepts quantiques actuels et pointus sur le sujet du temps, en tentant de les simplifier et les rapporter à nos pratiques méditatives.
Je m’appuie dans ma démarche sur le travail remarquable du scientifique P.Guillemant.
Essayons donc d’être de notre temps !
Nous avons vu la dernière fois que c’est « l’observation unique et ultime qui crée l’émergence de la réalité ».
Ce principe, issu des premières expérimentations quantiques portant dans l’immensément petit sur les phénomènes d’apparition d’ondes ou de particules en fonction de l’observateur, est délicat à comprendre et à appliquer à l’échelle de la perception ordinaire que nous avons du temps dans notre vie quotidienne.
Toutefois, la méditation peut nous sensibiliser à ces concepts-là, car elle développe une faculté d’observation et de réflexion supérieure à la moyenne qui permet de développer la connaissance intuitive transcendantale. Nous ne perdons pas de vue notre objectif spirituel malgré ce détour de réflexion plus cartésienne et scientifique.
Nous voulons juste comprendre comment fonctionne cette réalité dans laquelle nous savons nous immerger métaphysiquement, « méditativement ». Comme nous nous immergeons aussi énergiquement, il est bon pour nous de nous enrichir de l’éclairage scientifique actuel, puisque son discours, comme le nôtre, concerne le duo « énergie-conscience ».
Nous établissons ainsi des ponts intelligents entre les savoirs millénaires et les contemporains.
Nous avons vu la dernière fois comment l’intention et l’observation sont des clés nous permettant de mieux gérer notre réalité. Plus encore, elles pourraient nous permettre de percevoir ces fameux « signes, bribes, prémices, traces du futur » dans notre temps présent.
Ces deux seules clés ne suffisent cependant pas à tout comprendre.
Revenons donc à l’échelle de notre vie.
L’objet de notre approche étant le temps, ce sont les modifications de ce dernier et les bifurcations que nous prenons dans son déroulement durant notre vie qui méritent une considération approfondie.
Si nous parlons d’observation et ensuite de choix pour créer une bifurcation, cela pourrait sembler relever d’un choix intellectuel ou émotionnel dans un premier temps. Si nous allons un peu plus en profondeur, à la racine de ces outils-là, cela pourrait-il signifier que nous procéderions par une intuition qui détecterait consciemment ou non des coïncidences ? Question que se pose P. Guillemant.
Et il répond : ces coïncidences pourraient être expliquées par la « loi de Convergence des Parties », voir conf « Intentions » que nous avons déjà appréhendée dans les conférences précédentes quand nous posions la problématique du voyage dans le passé. Cette loi permet de supposer qu’on puisse remonter le temps en réunissant les parties d’un système ayant été désintégré par le temps lui-même.
Souvenez-vous, l’exemple du vase cassé.
En pratique, nous pouvons appréhender la forme d’un vase initial par quelques morceaux éparpillés mais nous ne pouvons le reconstituer intégralement à l’état neuf d’origine.
Or en théorie, la loi le propose. Nous n’avons pas encore le maillon qui nous permet d’agir sur la réalité pour appliquer cette loi théorique. Toutefois, elle peut être un support de réflexion et de compréhension nous prêtant main forte dans les expériences de perception supra-consciente des mécanismes du temps, voire des temps simultanés (passé-présent-futur) et de notre aptitude à y voyager.
Cela reste donc pour l’instant et pour les scientifiques, des spéculations théoriques qui permettent d’appréhender intellectuellement les subtilités potentielles de la réalité et celles du temps.
Ainsi, en étant dans le présent, nous pourrions recevoir des bribes du futur.
Ces bribes pourraient-elles prendre la forme de coïncidences qui s’offrent à nous et nous aident à faire des choix consciemment ou non ?
Nous allons choisir un exemple simple pour illustrer cette complexité.
Vous marchez en forêt et rencontrez quelque chose d’inhabituel qui va modifier vos choix de parcours ; un oiseau qui vous suit, un bruit qui vous attire et vous fait dévier de votre route. Vous vous perdez, un doute s’installe sur un sentier à prendre, un rayon de soleil éclaire un panneau que vous n’aviez pas vu vous indiquant le bon chemin, etc.
Sans votre présence, aucune coïncidence, aucune histoire n’aurait lieu,
Votre futur dépendra donc de la façon dont vous avez pu faire cette balade sans vous perdre et revenir sain et sauf chez vous.
C’est surtout votre libre arbitre qui vous a fait suivre ou non l’oiseau, prendre ou non un autre chemin.
Les coïncidences ne sont pas toujours flagrantes et remarquées et peuvent intervenir à un niveau très subtil et difficilement perceptible par quelqu’un de non observateur.
C’est pour cela que je vous rappelle à cette nécessité d’être davantage observateur dans votre vie, observateur de ce qui vous entoure, des paysages, des gens, des situations afin que votre conscience du réel s’aiguise.
Le danger des coïncidences est leur interprétation potentiellement erronée pouvant faire référence à la magie, l’extraordinaire. Dans l’exemple de la pancarte éclairée par le soleil à votre passage, nous avons là une coïncidence qui pourrait être associée à l’illusion optique ou l’interprétation subjective d’un signe magique du destin ou du divin envers vous.
Tout reste ouvert !
Selon la « théorie de la flèche du temps », qui définit un sens irréversible qui va du passé vers le futur, tout système se désintègre et va vers un désordre, en obéissant à la « loi de l’entropie » dont nous avons déjà parlée.
Selon la « loi de la Convergence des Parties » qui, en théorie, inverse cette flèche, elle sous-entend qu’en faisant reconverger les parties d‘un système désintégré, nous pouvons retrouver l’ordre du système d’origine.
Ce dont je vous parlais plus haut avec le vase cassé, mais il nous faut là, nous arrêter sur le concept introduit, qui est celui de l’ordre.
Cela signifie-t-il que nous pourrions retrouver dans le présent des bribes ordonnées d’un système qui sera dans le futur désordonné ?
Dans cette observation, les systèmes déjà ordonnés venant du passé et qui persistent dans le présent en tant que systèmes en voie de désintégration plus ou moins lente et visible et qui sont donc les effets d’une cause préalable, ne peuvent être concernés.
Nous, qui vieillissons, par exemple !
Qu’y a-t-il encore en nous d’ordre et de cohérence, ne serait-ce que physiquement et qui se perdra dans le futur, le futur n’ayant rien de prometteur puisque nous sommes soumis à la désintégration ?
Reste à voir comment nous intégrons cette déstructuration du corps dans le processus cosmique et si notre vision en est positive ou négative, spirituelle ou non, c’est-à-dire, si nous y trouvons un sens d’ordre cosmique ou de chaos cosmique.
Mais qu’y a-t-il en nous qui n’appartient qu’au futur sans appartenir au passé ?
Nos cheveux gris ?
Revenons au futur, il ne peut donc se manifester à nous de façon simultanée et ordonnée à notre présent que s’il n‘est pas une trace du passé encore plus ordonnée. Ces traces du futur dans notre présent ne peuvent être l’effet d’une justification causale du passé.
Cela voudrait-il dire que toutes les coïncidences n’ayant pas d’explication causale seraient des traces du futur, alors que les autres ne le seraient pas ?
Nos cheveux gris, là encore ?
« Alors, qu’est ce qui agit dans la création d’une coïncidence où tout un ordre de synchronisation intervient ? » continue à s’interroger notre physicien.
Le rayon de soleil, mon œil, mes pas, mon errance, mon doute, la pancarte, l’oiseau.
Il y a là une concordance spatio-temporelle de nombreux paramètres pour que je puisse prendre le bon chemin dans cette forêt où je me suis perdue.
Le moindre retard ou la moindre distorsion de cette harmonie spatio-temporelle pourrait ne pas me permettre que je trouve le bon chemin, passant la nuit à tourner en rond et ne pouvant rentrer chez moi.
Qu’est-ce qui fait qu’il y a intérêt pour nous à ce que tous les paramètres soient harmonisés, coordonnés dans notre vie ?
Dans les coïncidences, il semblerait qu’il y ait une improbabilité à ce qu’elles se passent ainsi, improbabilité que tous les paramètres convergent en même temps et au même endroit.
Quand cela arrive, la coïncidence obéit à la notion de « synchronisme », voire de perfection du synchronisme, nous dit toujours P. Guillemant.
Ainsi donc, si nous partons d’un futur où nous sommes bien en forme en train de lire dans un fauteuil pour aller dans un passé (présent) où nous sommes perdus sur un chemin, il faut que quelque chose d’indispensable ait fait converger ensemble et en les reliant, des paramètres environnementaux synchrones pour que nous puissions voir, dans notre présent actuel, la pancarte révélée par le rayon de soleil.
Certains y verront l’intention divine, d’autre le hasard, d’autre la magie.
Notre futur possèderait-il déjà des diapositives de notre présent afin de faire converger tous les éléments nécessaires pour que dans notre exemple précédent, nous ne nous perdions pas ?
Dans notre lecture de la réalité présente, ce, qui nous dirige vers notre futur, nous confronte à de véritables choix.
Est-ce une nécessité de l’évolution ?
Serait-ce l’évolution elle-même ou autre chose ?
En yoga, nous parlerions de la supra-conscience de Brahman ब्रह्मन्, l’absolu inqualifiable, infini et intemporel, non manifesté et manifesté à la fois, contenant toutes les manifestations passées et à venir, réalisées ou potentielles.
Revenons à l’intention.
Nos intentions qui sont liées à nos choix sont nourries et maintenues par notre volonté pour obtenir un résultat.
Peu de volonté et d’intention, peu de résultat !
Nous avons à être vigilant à l’authenticité de nos intentions, qu’elles ne soient pas contradictoires, et surtout qu’elles soient en accord avec les moyens nécessaires pour les réaliser. Si dans notre présent, il y a cette cohérence, alors les traces du futur perçues dans notre présent devraient être fiables.
Cependant, dans ce cas-là, cette réalisation future s’inscrit dans le cadre de la causalité et aucune trace du futur de cette réalisation ne sera possible.
Voilà la faiblesse d’un tel syllogisme.
C’est pour cela qu’il est difficile d’observer les traces du futur non causales.
Valider dans leurs totalités, la loi du déterminisme, celle de la flèche du temps, celle de la causalité dans le sens cause-effet, celle du hasard qui interviendrait, c’est les considérer toutes vraies au regard des connaissances ordinaires d’aujourd’hui.
Toutefois, elles ne sont vraies qu’en partie et c’est finalement avoir une vision qui veut que nous allions vers la dissolution, vers la mort et le chaos.
C’est une vision pessimiste du futur et de l’existence.
Si c’est la vision d’une majorité de scientifiques actuels, ce n’est pas celle de tous.
Les plus audacieux, peut-être spiritualistes malgré eux, ont le courage de reconnaitre la limitation des connaissances actuelles, l’absence de loi d’information qui pourrait expliquer que l’Univers agit et qu’il pourrait aussi choisir par l’intermédiaire de nos intentions.
Bien sûr, il faudrait que le commun des mortels ait un esprit suffisamment puissant pour agir de la sorte sur le réel indépendamment de tout paramètre ou conditionnement causal et obtenir un résultat immédiat.
Et là, le yoga peut résonner.
Depuis des années, par nos pratiques intenses de concentration, d’action sur l’énergie physique et mentale, par la stimulation intellectuelle, l’optimisation des perceptions, l’observation, je vous entraine et vous prépare à cette compréhension joueuse, optimiste, excitante, du pouvoir de notre esprit sur le réel et vous apprends à parler au monde.
Nous avons dans l’existence, un réel libre arbitre qui nous permet de pouvoir agir sur notre avenir en modifiant celui déjà tout tracé par le conditionnement causal du passé.
C’est dans notre intention et la façon dont nous la présentons au monde que se trouve une des clés. En réduisant les importances de cette intention et du « Je subjectif personnel », en étant libre de l’intention elle-même et détaché de son résultat tout en maintenant notre détermination, nous enlevons toute tension égotique et permettons au monde de nous entendre et d’obtenir de lui des réponses manifestes, voire des véritables traces ou prémices du futur.
Gardons confiance, le monde sait ce qu’il fait et entrainons-nous à rester joyeux, quoiqu’il arrive.
Hari om tat sat
Jaya Yogācārya
Bibliographie :
« La route du temps « de Ph. Guillemant aux edts Tredaniel
– Adaptation et commentaire de Jaya Yogācārya