Nous voilà de nouveau ensemble, malgré les intempéries de la vie, sur le chemin qui nous unit parfois depuis de longues années.
Nous passons bien des épreuves et chacun de nous a son lot.
Certains d’entre nous ici présents ont traversé de grandes peines ou traversent en ce moment de difficiles combats.
Nous vieillissons ensemble et ceux qui ne vieillissent pas vraiment encore, grandissent à nos côtés.
Nous mûrissons patiemment en nous le gentil, l’attentionné, le serviable en nous éloignant de ce qui faisait de nous, des coqs prétentieux ou des gallinacés farouches.
Certains parmi vous ont les cheveux blancs qui s’argentent et pour les plus jeunes, leur jolie peau lisse prend le tanin discret de la jeune maturité.
Si pour certains d’entre nous, nos postures vieillissent, nos esprits s’assouplissent et se libèrent et nos cœurs deviennent plus généreux et plus lucides.
Nous devenons grands et sommes à même d’aborder le sens profond de l’existence.
Nous sommes la dynamique inspirante pour les plus jeunes pratiquants. Ils sont les bienvenus à nos côtés et seront assurés d’un chemin de qualité et de notre bienveillance à leur égard.
Quant à nous, inutile de chercher à nous imposer, à chercher la reconnaissance, voire la notoriété comme beaucoup d’aspirants en yoga la cherchent. Nous-mêmes, avons été dans ce film-là, il y a très longtemps. Mensonger serait de ne pas le reconnaître.
Nous avons été ignorants.
Lorsque je vois le monde devenir, j’ai le choix entre deux attitudes intérieures.
Soit, il me faut lutter et apprendre bien vite ses nouveaux codes, ne serait-ce qu’en communication par exemple, pour continuer à me faire entendre, voire comprendre, dans cette cacophonie médiatique et numérique et maintenir le Centre Jaya à flots.
Apprendre ses nouveaux codes sans quoi nous pourrions très vite devenir obsolètes et handicapés dans l’utilisation de ce nouveau monde !
Aujourd’hui, c’est à coups de techniques bulldozer en marketing numérique que certains se positionnent et les plus diplômés dans ce domaine s’en sortent forcément mieux, même s’ils n’ont rien à dire ou à vendre de bien fantastique. Le but ? Vendre !
Le « Growth hacking » par exemple est une activité consistant à « activer la croissance » d’une entreprise, notamment d’une startup, par un ensemble de techniques de marketing permettant d’accélérer rapidement et significativement la croissance de son chiffre d’affaires et souvent au moyen de supports numériques ou des réseaux sociaux.
Il suffit de voir comment les GAFAM fonctionnent.
J’ai pu voir récemment une publicité de communication en coaching professionnel où était mis en avant un nouveau concept, « l’Humbition ». « Hum » pour humilité et « bition » pour ambition. Mot paradoxal ! Ce concept définit des stratégies de management professionnel et permet de développer des compétences de direction pour un objectif ambitieux tout en gardant les principes de l’humilité.
Humilité envers qui ? Y aurait-il là une couleuvre à avaler, une récupération déguisée d’une idéologie ou d’une éthique spirituelle, au service d’une stratégie de coaching offensif ?
Cette stratégie se fait d’ailleurs à coups de meetings avec un coach sur une scène et un grand écran derrière le coach où le mot « Humbition » est écrit sur une hauteur de trois mètres. Paradoxal pour qui cherche l’humilité !
Bien sûr, ces formations sont exorbitantes et ciblent les managers d’entreprises ayant les moyens de les suivre.
Je ne remets absolument pas en question le talent assuré du coach concerné, mais nous sommes bien loin du sens originel du mot "humilité" !
Au bénéfice du doute, j’ose espérer que ces nouvelles stratégies soient salutaires et non destinées à optimiser l’éternelle course au profit faite par les plus malins au détriment de la manipulation des plus humbles. Qui dit business ne parle pas de spiritualité mais de bénéfices. Inutile d’avancer masqué !
Devant ces agressives stratégies, nous pouvons nous sentir démunis, nous qui travaillons depuis si longtemps à parfaire l’authentique, le beau, le bon, la véracité, l’éveil, la conscience subtile du réel.
Passerions-nous finalement pour des imbéciles à leurs yeux, voire des « gentils » ?
Oui ! Nous sommes les gentils dans ce vilain monde !
Nous voyons bien qu’il y a une métamorphose totale des valeurs humaines et cela m’apparait vertigineusement dangereux.
Ainsi, mon autre attitude intérieure serait d’abandonner à présent le futur numérique du Centre Jaya. Décider de retrouver la seule respiration naturelle et tranquille des seuls acquis de l’expérience yoguique, laissant au néant médiatique ce qui a été fait, par volonté de non actualisation de ce que nous sommes aux yeux du monde actuel. Ce dernier semblant pour beaucoup de personnes, ne se nourrir que du présent, des apparences et du nouveau.
D’où l’absence de culture et du savoir millénaire chez beaucoup.
Je ne peux ici parler que de mon ressenti et non pas de celui de mon associée Māheśvarī Yogācāryaḥ, bien sûr, sachant toutefois qu’elle semble corroborer mes dires.
Si seulement nous pouvions aisément, dans cette cacophonie numérique du monde, y entendre de belles choses !
Mais il faut nous faire violence pour aller les chercher sous un tas de poubelles mentales tant la toile mondiale est polluée.
Il nous faut faire violence pour préserver la lecture silencieuse, l’inspiration pure.
La méditation, ayant pour fonction d’élever la conscience, y pourvoit.
Mais, pour les urbains que nous sommes, le contraste est devenu grand entre le moment qui la précède et le moment profond où nous la pratiquons, tout comme est devenu violent le moment où la quittons.
La méditation dans nos villes, n’a pas réussi à changer le monde autour de nous !
Certes, elle participe à changer en nous notre perception de ce dernier. Elle pacifie celui qui la pratique, mais il nous faut désormais faire preuve de grande compassion à l’égard de notre société pour pouvoir supporter cette dernière et vivre en son sein.
C’est le prix à payer pour rester à vos côtés.
Cessons de nous leurrer et de jouer aux illuminés !
Le monde est galère pour les méditants urbains que vous êtes, que nous sommes !
C’est pour cela que vous transcendez quand vous suivez des stages à la campagne ou dans le beau cadre chargé du Centre Jaya et perdez vos nerfs de retour chez vous.
Quand ce n’est pas votre voisinage, voire celui du centre, qui a des comportements de suffisance tapageuse cachant finalement un inconscient complexe d’infériorité, créant de ce fait, une pollution sonore en se complaisant dans le déni d’autrui.
Pour que la méditation soit pleinement effective dans votre vie, il vous faudrait prendre un espace-temps propice à sa pratique. Or, lorsque vous pratiquez le matin, vous n’éviterez pas pour un grand nombre d’entre vous qui êtes encore actifs, « l’après méditation », à savoir, le stress familial, les embouteillages du matin, le stress professionnel.
La vertu de la pratique du matin est d’éveiller l’esprit et le corps, les mettre sur une fréquence supérieure pour aborder la journée qui va suivre et que les énergies du monde désintégreront progressivement. La méditation ou les pratiques du soir pourront nourrir le vide dû à cette perte qualitative et quantitative de l’énergie et de la conscience, vide créé par les activités mondaines.
D’où la nécessité d’une pratique yoguique régulière.
Sans activités mondaines, pas de pertes des énergies vitales et subtiles !
Mais il est difficile pour un grand nombre de trouver les conditions harmonieuses, dans cette jungle, tant le contexte urbain se dégrade en incivilités et nuisances en tous genres, dont le bruit et de sa surenchère
est une des majeures.
Alors, faut-il que les Haṃsa हंस que nous sommes, fuyions vers des espaces abrités, gardés secrets ?
Cygnes blancs, oiseaux méditants qui allons vers des contrées de l’esprit transcendant où l’homme ordinaire ne va jamais.
Faut-il que le cygne apprenne à clavarder ?
Doit-il rester le guide présent ou devenir un guide présent sur YouTube ?
Doit-il devenir un robot fait de pensées électroniques et de mouvements saccadés, un hologramme hyper-réaliste, ou doit-il rester de plumes et d’eau ?
Pour rester auprès de vous, faut-il qu’il apprenne que dans ce monde numérique d’aujourd’hui, ce qui est valable à un temps T, peut ne plus l’être à un temps T+1, voire quelques jours après ?
Faut-il qu’il apprenne que la communication d’aujourd’hui est un art façonné de stratégies marketing sophistiquées qui imposent ses codes où la spontanéité et la sincérité n’ont pas leur place ?
La poésie du cygne n’intéresse personne.
Faut-il qu’il apprenne, que pour se faire comprendre ou reconnaître par un plus grand nombre, il lui faut renoncer à aborder des principes sérieux et profonds de sens au profit du léger, du superficiel, du dérisoire, voire du spectaculaire ?
Le cygne doit-il se mettre à rire pour un rien ?
Faut-il qu’il apprenne que nous sommes plus de 8 milliards de personnes sur terre et que plus de la moitié, utilisent les réseaux sociaux chaque jour à raison de 2 heures d’écran et que 98 % le font sur leur téléphone mobile ?
Faut-il qu’il apprenne que depuis plus de dix ans, la plupart des entreprises ayant fait faillite n’étaient pas sur les réseaux sociaux ?
Faut-il qu’il apprenne qu’il faut être viral ou mettre des choses virales pour toucher un plus grand nombre dans ce monde-là ?
Faut-il qu’il apprenne qu’il lui faut cibler les personnes à atteindre en définissant des portraits robots ? Qu’il lui faut être souriant, fun et joueur.
Le monde n’a que faire de sa grâce et de sa splendeur.
Devez-vous, vous-mêmes, devenir à mes yeux des cibles ?
Faut-il qu’il apprenne qu’il lui faut ne pas réagir aux trolls, ces cygnes noirs qui n’ont pour objectif que le plaisir obtenu en suscitant la polémique.
Faut-il qu’il apprenne que lorsqu’il veut que quelqu’un fasse une action, il faut lui demander de le faire ?
La réactivité implicite qui nécessite un peu d’intelligence n’étant pas manifestement le lot de tous ?
Faut-il qu’il apprenne qu’il ne faut jamais oublier que n’importe qui sur internet peut se faire passer pour n’importe quoi et prétendre n’importe quoi ?
N’a-t-il pas vu l’autre jour sur un lac, un cygne plus grand que lui ...en caoutchouc... ?
Ce qu’il comprend enfin, c’est qu’il lui faut être extrêmement prudent dans ce monde numérique devenu incontournable s’il veut glisser sur la toile.
Mais, il est libre de partir vers le nord, vers des eaux pures et tranquilles loin de la folie des hommes et des médias numériques.
Nous pouvons encore vivre tranquillement en apparence, près d’un bois ou dans un village, une petite ville calme, mais nous serons désormais à notre insu, une base de données commercialisables, un portait robot pour quelqu’un, une adresse localisable, un profil communautaire, une cible pour un satellite ou un drone, etc.
« Si nous prenons les dix comptes Twitter les plus populaires, le premier est celui du footballer Ronaldo suivi de Rihanna ou Katy Perry ! » écrits de Marek Halter dans son livre « Un monde sans prophète » paru récemment.
Nous semblons avoir réfléchi ensemble au vu de mes nombreuses conférences précédentes sur la même thématique !
« Est-ce à dire qu’aujourd’hui, ces notoriétés-là seraient aptes à porter un message prophétique, se demande le même auteur ?
Il nous répond qu’au vu de l’éphémère vie médiatique, ils en sont incapables et n’ont pas le verbe suffisamment révolutionnaire et porteur comme peut l’être celui d’un vrai prophète. Malgré leurs engagements associatifs, ce qui fait leurs primautés sur les réseaux, leurs seules compétences, en vérité, sont de distraire les foules, les amuser et non les recentrer sur l’essentiel de l’existence et des graves enjeux du monde actuel. »
Rien d’inédit qui puisse révolutionner le monde.
"Être novateur aujourd’hui nécessite de réfléchir par soi-même et proposer à autrui la même démarche, mais beaucoup de personnes en sont incapables ou n’aiment pas cela."
Alors, nous dit toujours Marek Halter, "si un Victor Hugo a pu se faire entendre à son époque par la presse, par ses écrits et son réseau d’amis, arriverait-il à se faire entendre aujourd’hui ?
Pas sûr qu’on le remarque !"
Quand j’entends qu’un(e) influenceur(se) de 20 ans a des millions de « followers », je vous avoue que je n’intègre pas, que je ne comprends pas !
Qui influence qui et par quoi ?
Le terme déjà d’« influenceur » signifie-il que des millions de personnes cherchent à être influencés et ne peuvent penser ou être par eux-même ? Cela veut dire qu’ils adhèrent.
Les influenceurs ne datent finalement pas d’aujourd’hui !
La mode par exemple, et la culture ont joué ce rôle et souvent avec pertinence et originalité et c’est encore le cas de nos jours lorsque nous sommes en face de propositions réellement novatrices et de qualité. La science, les technologies, les médias font de même et influencent grandement notre mode de vie.
Mais ce que nous pouvons voir chez un grand nombre d’« influenceurs » sur la toile m’invite au doute quant à leur pertinence.
Dans l’exemple où noua pouvons voir une jeune mère au foyer qui filme en permanence sa vie familiale, le changement des couches de son bébé, la purée qu’elle prépare pour l’ainé - son blog étant suivi par 15000 autres mères au foyer qui changent les couches de leur bébé et préparent la même purée - j’émets des doutes sur la pertinence et les libertés prises.
C’est sans compter l’apport confortable d’un vrai salaire à la blogueuse qui semble exploiter la vie intime de ses enfants.
Des dérapages ont eu lieu aux USA où des parents mettaient en stress aigu leurs enfants en permanence devant leur caméra, créant de ce fait des traumatismes psychologiques pour le besoin de leurs blogs et de leurs milliers de followers. Finalement, le gouvernement américain a ordonné le retrait de ces enfants-là à cette éducation parentale violente et lucrative.
Nous savons bien que la pédo-criminalité via les réseaux sociaux nourrit des familles misérables voire des villages entiers en Indonésie grâce à de très jeunes enfants.
Quand ce n’est pas la course aux plus gros « grands fessiers » siliconés à coups de danses suggestives et déplacées dont des femmes se font les représentantes émancipées...sans y voir leur propre vulgarité..
Quand ce ne sont pas les manucures extravagantes d’ongles aux couleurs arc en ciel dont la longueur handicape toute manipulation ordinaire et, de ce fait, tout travail manuel…
Mais que font-ils toute la journée ?… Le temps passe … la liste serait longue...
Beaucoup d’éphémère dérisoire y est véhiculé.
Il est vertigineux de s’apercevoir comment l’esprit humain peut se nourrir à si court terme de toxicité mentale et de médiocrité.
Il en est assoiffé et demandeur.
Que donneront ces décennies de dérision sur les jeunes générations pour construire le monde de demain avec les adultes qu’ils seront ?
Vous pourriez me rétorquer que finalement un guide spirituel est un influenceur majeur.
Certains rentrent dans ce moule et réunissent des milliers de participants habillés en blanc sur la place du Trocadéro à Paris pour la journée mondiale du yoga.
Pourquoi pas ! Cela fait un peu transhumance !
Le terme « guide spirituel » fait peur à un grand nombre de personnes.
Ces dernières supputent derrière lui un danger de manipulation mentale et d’idéologie sectaire.
Ce genre de guide existe, ne le nions pas.
A cette catégorie de guide correspond aussi cette catégorie de gens qui par ignorance et beaucoup de peurs en eux, projettent leurs propres incertitudes et manquent de confiance voire de courage pour aller voir par eux-mêmes ce que sont un véritable enseignement et un véritable guide.
C’est pour cela que les véritables chercheurs spirituels qui suivent un véritable enseignement spirituel sont des gens courageux et lucides.
Il n’y en a pas beaucoup dans le marché du bien-être à la mode aujourd’hui.
Sans ces qualités-là, n’importe qui peut devenir la proie de ses propres fantasmes ou de ceux d’un guide improvisé et sans scrupules.
N’importe qui peut diaboliser n’importe quoi.
Le véritable guide spirituel est là pour vous rendre libre, autonome et vous apprendre à réfléchir par vous-même. Il doit être libre lui-même.
Il est là pour démontrer à votre conscience les mécanismes des systèmes qui vous asservissent.
Il vous donne les outils du yoga et de la méditation pour faire par vous-même l’expérience directe des enseignements. Ils n’ont de valeur qu’à ce moment-là.
À aucun moment, il ne vous demande de vous raser la tête, de mettre des Mālā माला autour du cou et des poignets et d’arborer l’air illuminé.
Il est là pour que vous soyez vous-même, authentique, avec vos spécificités, observateur muni d’un savoir sacré, et si vous devez être acteur, muni d’un grand discernement.
Alors oui, sans danger, vous pourrez peut-être jouer le jeu en partie du monde de demain et réserver au sacré de la vie, votre partie la plus importante.
Hari om tat sat
Jaya Yogācāryaḥ
Bibliographie :
– "Un monde sans prophète" de Marek Halter aux edts Hugo Doc
– sources de Jean-Marc Rogez, consultant internet
https://www.consultantinternetjeanmarcrogez.com
– Commentaire de Jaya Yogācāryaḥ
Correction de C. Pellorce
©Centre Jaya de Yoga Vedanta La Réunion