« Pûjâ 2 »
Le Rite Védique
Conférence donnée par Jaya Yogacharya le 11 octobre en cours de méditation
Nous voilà à une semaine de la pûjâ que nous allons faire en l’honneur de notre maître Sri Sri Sri Satchidananda yogi de Madras, dit le silencieux, qui nous a quittés il y a huit années de cela.
Je vous ai parlé la dernière fois de l’impact du sacré sur l’esprit en vous présentant dans son contexte historique, les origines et les diverses formes de la cérémonie d’adoration issues de la tradition védique.
Nous avons vu qu’il y a deux grandes formes, le rituel extérieur, le Bahir-yâga et l’intérieur, l’Antar-yâga.
Notre pûjâ appartiendra à la première et va mettre en jeu un nombre considérable d’éléments et d’actions qui nécessitent une longue préparation et ce à quoi nous nous affairons déjà pour un petit groupe depuis plusieurs jours.
Ce sera pour le Centre Jaya l’occasion de recharger les lieux où vous pratiquez si nombreux, et de vous permettre de bénéficier personnellement d’une grande énergie spirituelle par votre participation à ce rituel, qui par ailleurs, et je tiens à le souligner, ne vous engage nullement dans la pratique Hindouiste.
Je tiens d’ailleurs à saluer ceux qui de convictions religieuses autres, seront présents, car ils témoignent de l’ouverture d’esprit qu’implique la reconnaissance du divin sous toutes ses formes. Quant aux non religieux, ils s’inscrivent dans la démarche métaphysique du yoga et auront leur place à part entière.
Le Bahir-yâga ou Bahir-pûjâ, la pûjâ extérieure s’appelle aussi kriya-pûjâ, en terme d’action ou de rite, d’opération liturgique.
Bien qu’elle puisse être simple et ordinaire, elle peut atteindre un degré d’élaboration, de raffinement et de complexité.
Elle nécessite en tous les cas une longue préparation au cours de laquelle l’adorateur, le pûjâri, l’officiant se purifie lui-même, puis purifie les mantras, les emplacements, les instruments et les ingrédients ainsi que les symboles du culte.
Le but recherché est une transsubstantiation.
La transsubstantiation est, littéralement, la conversion d’une substance en une autre. Le terme désigne, par exemple chez les catholiques, la conversion du pain et du vin en corps et Sang du Christ lors de l’Eucharistie.
La substance est ce qui existe par soi-même.
Ainsi, la forme d’un chapeau n’est pas le chapeau lui-même, pas plus que sa couleur, sa taille, sa texture, ni aucune autre propriété sensible. C’est le chapeau lui-même (sa substance ) qui possède une forme, une couleur, une taille, une texture tout en étant distinct de ces propriétés. Contrairement à ces apparences, la substance ne peut être perçue par les sens. On parle de « présence réelle ».
Ainsi donc, le pûjâri transforme rituellement tous les éléments du culte, lui- même inclus, en éléments qui ne sont pas faits d’une matière ordinaire, mais d’une substance divine spirituelle. Alors le rite peut commencer.
La structure d’une pûjâ extérieure s’articule sur trois principes, nous décrit T.Michael.
– Dhyâna, la méditation initiale par laquelle les participants se retirent du monde et de son lot de préoccupations pour se fixer sur le Divin.
– Avâhana, l’invocation.
Le pûjâri invoque le Divin omniprésent et le fait descendre dans une mûrti. La mûrti est la forme qui va devenir le support de l’adoration. La mûrti peut-être une image, une icône, une statue, un objet fait de pierre, de bois, de bronze, d’or, de sable ou de terre que le divin va habiter à la demande de l’officiant.
Le pûjâri a bien conscience qu’il n’est pas un adorateur d’icônes, mais il demande au Divin de bien vouloir résider temporairement dans ce support.
Ce support visuel permet à l’esprit de se concentrer sur la Réalité indicible qui ne peut être saisie ni par les sens ni par la pensée.
– Sthâpana, le maintien.
Ayant invoqué le Divin, l’adorateur l’installe, le fixe et le retient dans son support au moyen de mantras, de mûdras, d’actions rituelles. Le but de ce maintien est de garder le fil psychologique et affectif de la présence divine jusqu’à la fin du rituel.
Ces actes d’adoration pour le maintenir s’appellent des Upachâra et la tradition veut qu’ils soient au nombre de seize, bien qu’il y ait beaucoup de variantes selon les textes, et que l’on trouve souvent le nombre de douze.
Les plus pratiqués sont :
— l’Asana : c’est le lieu et le siège où l’on invite la divinité à résider pendant l’adoration.
Le divin est ici un invité de marque.
— Pâdya : c’est l’offrande de l’eau pour laver les pieds de la divinité en guise de rite d’accueil.
— Acamana : c’est la gorgée d’eau purificatrice recueillie dans la paume de la main droite, que l’on boit à trois reprises. Elle est offerte au niveau du visage de la Déité.
— Arghya : c’est un autre geste d’offrande de l’eau avec les mantras appropriés préalablement transformée en nectar par des rituels.
— Abhisheka (ou snâna) : C’est le bain de la Déité qui peut se faire soit par une eau pure, filtrée, et parfumée par l’odeur des fleurs et du camphre, santal, safran et vétiver.
Cela peut se faire aussi par les cinq produits de la vache, lait, lait caillé, ghee,
urine et bouse en soupçon ou encore avec les cinq nectars, lait, caillé, beurre clarifie, miel et jus de canne à sucre.
Après le bain, la Divinité peut-être essuyée très doucement par un tissu doux ou un châle (veshti ) que porte l’officiant sur lui, par exemple.
Une onction, geste liturgique consistant en une application d’une huile sainte sur une chose ou une personne, peut-être appliquée sur la divinité en l’enduisant d’huiles parfumées ou de pâte de santal. Parfois elle peut-être même frictionnée. Cet upâchara ne se fait pas toujours.
Si l’on peut frictionner à ce moment là, lors de l’abhishekam, on ne doit pas frotter ni toucher les parties intimes de la divinité.
— Vastra : L’habillement. Après son bain, la déité doit être revêtue de tissus propres et soyeux, éventuellement de bijoux, de fleurs, de guirlandes ou encore d’un cordon brahmanique.
— Gandha : est l’offrande de parfums par la pose de santal sur son front, ou sur certaines parties de son corps par des pâtes ou des huiles parfumées.
— Pushpa : est l’offrande de fleurs qui se fait avec les namo-mantras de la divinité. Les règles (couleurs, espèces) concernant les fleurs sont nombreuses, mais surtout, elles ne doivent pas être sans parfums.
— Dhûpa : est l’’offrande d’encens - Dîpa est l’offrande des lumières - Ghanta, l’offrande du son.
Est agité devant le support divin l’encensoir où brûle l’encens (samblani) et de la même façon, sont présentées les lampes à huile devant lui. Le camphre, quant à lui brûle aussi. Ne laissant pas de résidus, il symbolise la disparition de l’égo. La clochette résonne en même temps.
— Naivedya : (ou Prasad) est l’offrande d’un repas. Longtemps préparé avec soin selon certaines règles et par des officiants en carême, des mets divers et délicieux salés et sucrés ainsi que des fruits sont offerts. On considère que la portion subtile, invisible de la nourriture, à savoir son prâna, sera dégustée par la déité. Les restes du repas divin, à savoir ce qu’elle laisse, sont chargés de son prâna et distribués aux participants. Ce repas s’appelle alors le prasad et doit être généralement mangé en silence, en recueillement et sans restes.
— kirtans, chants dévotionnels, vâdya, musique instrumentale et nritya, danse sacrée sont les upâcharas d’attention offerts pour charmer la déité et la retenir un peu plus longtemps. Mais nous pourrons trouver des Upachara mineurs tels que : l’offrande du bétel à chiquer - la présentation d’un miroir pour qu’elle se mire et présenté ensuite aux participants afin qu’ils perçoivent le reflet divin - la mise en place d’une ombrelle pour marquer son noble rang - l’éventer avec une queue de yack.
— Namaskâra : La cérémonie s’achève par une prosternation complète du corps touchant le sol et symbolisant le total abandon de soi devant le divin et la destruction de l’ego.
— Pradakshina : La circumambulation, se fera si cela est possible. Elle consiste à tourner un ou plusieurs tours en gardant la Déité à sa droite. Cela symbolise le retour à l’action de la Déité et peut être accompagnée de mantras à voix basses, ou mentalement en glorifiant la divinité.
— Visarjana : le congé.
L’adorateur cesse de retenir la divinité prisonnière dans cette forme et ce lieu et la laisse retourner à son état d’omniprésence et d’invisibilité.
Voilà donc le descriptif de certaines étapes que vous pourrez observer lors de pûjâ du centre.
Les ingrédients nécessaires à rassembler pour une pûjâri peuvent être classés en cinq parties.
*Les fleurs et les céréales, la nourriture, les supports, les sièges, les instruments en terre ou bois, seront associés à Prithivi, l’élément terre.
*L’eau, le lait, l’eau de coco, et tout liquide seront associés à l’élément eau, Apas.
*Le feu, les bijoux, la lumière, le camphre, les miroirs, les instruments en cuivre, appartiennent à l’élément Agni, le feu.
*L’encens, l’éventail, l’espace de la pûjâ à l’élément air, Vayu.
*Les cloches, les mantras, la musique, les tambours relèvent de l’élément Ether, l’Akasha.
Ainsi donc les officiants offrent l’univers tout entier par les cinq éléments qui le constituent.
La caractéristique la plus importante de l’adoration est de réaliser une harmonie entre la pensée, la parole et l’action dans un état de concentration soutenu.
La concentration de l’esprit est un des outils importants du yoga. Dans la pûjâ, nous retrouvons cet outil dans toute sa signification.
Ainsi pendant que la main gauche fait résonner la clochette, la main droite présente les lumières ou l’encens, les lèvres prononcent les mantras, l’esprit doit se fondre dans l’action de ce rituel afin d’en saisir la signification profonde, en ressentir les effets alors que le cœur doit s’immerger dans le sentiment d’adoration. La personnalité toute entière est ainsi sollicitée.
Ainsi donc, l’harmonisation entre les différents niveaux de l’être, la teneur de la conscience obtenue pendant le rituel peuvent déclencher, outre les sentiments très vifs d’émerveillement ou de crainte, des absorptions spirituelles intenses.
Les plans subtils sont ici appréhendés, non par l’ascétisme et le renoncement, mais par la jouissance pleine et consciente des plaisirs raffinés de l’existence qui satisfont les organes des sens, transformés en offrande à ce qui est supérieur.
Au contraire de la vie ordinaire où ils sont consommés, ils sont offerts ici au Divin, perçus par lui, partagés avec les autres et goûtés à un niveau subtil.
A un niveau yoguique, l’immersion de l’esprit dans l’offrande au soi dépasse la jouissance des organes sensoriels. C’est l’Iswara-pranidhana, la totale offrande de toutes les plans de son être au divin et qui est la condition sine qua non de toute progression yoguique et de tout déracinement de l’égo.
Hari Om Tat SaT
Jaya yogacharya
Bibliographie :
« Le yoga de l’éveil » de Tara Michael aux edts Fayard.
« Pûjâ » de Swami Saraswati Sivananda.
Adaptation et commentaire Jaya Yogacharya.